Anas crecca

Famille : Anatidae

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Texte © Dr. Gianfranco Colombo

 

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Traduction en français par Catherine Collin

 

Des ailes de canards ? Ces ailes étroites et pointues sont plutôt des ailes de faucon ! Anas crecca est le canard le plus petit et le plus agile du paléarctique © G. Colombo

Des ailes de canards ? Ces ailes étroites et pointues sont plutôt des ailes de faucon ! Anas crecca est le canard le plus petit et le plus agile du paléarctique © G. Colombo

On ne peut parler de la Sarcelle d’hiver (Anas crecca) sans parler de la Sarcelle d’été (Anas querquedula) et vice versa. Tant de relations existent entre ces deux espèces, tant de liens et tant d’histoires unissent les vies de ces deux petits canards qui comptent parmi les plus petits du paléarctique. La Sarcelle d’hiver (Anas crecca Linnaeus 1758) appartient à l’ordre Anseriformes et à la famille Anatidae, un regroupement très vaste qui comprend actuellement 152 espèces éparpillées sur tous les continents. Les références communes à ces deux canards sont vraiment très nombreuses comme nous le verrons, même s’ils montrent des caractéristiques et des comportements très différents bien que liés entre eux. Une première connexion est reliée au nom vulgaire que nous donnons à ces deux canards puisque nous les réunissons sous un même nom “sarcelle” et les différencions par la saison : sarcelle d’hiver et sarcelle d’été. Nous retrouvons la même situation en ce qui concerne le nom scientifique assigné par Linné à la sarcelle d’hiver.

Anas crecca montre pour le genre une origine latine “anas” = canard alors que pour l’espèce on retrouve un terme suédois “kricka”, nom donné localement à la Sarcelle d’hiver et se référant à une onomatopée rappelant plus la Sarcelle d’été dont le cri typique est un “crekcrek” continu de ralliement et de rappel.

L’aire de nidification est très étendue. Elle couvre presque toutes les terres émergées au dessus des 45° de latitude nord, jusqu'aux côtes arctiques © G. Colombo

L’aire de nidification est très étendue. Elle couvre presque toutes les terres émergées au dessus des 45° de latitude nord, jusqu'aux côtes arctiques © G. Colombo

Il serait intéressant de connaître quel critère a utilisé Linné, lui-même suédois, pour choisir le nom de cette espèce. Une autre confusion naît des noms qui leurs sont donnés en anglais Teal (Sarcelle d’hiver) et Garganey (Sarcelle d’été). L’étymologie de garganey vient du dialecte padouan garganel ou garganello qui étrangement désigne plus la Sarcelle d’hiver que la Sarcelle d’été. Pour finir nous ajouterons que les femelles des deux espèces sont presque semblables à terre et qu’on ne peut les différencier lorsqu’elles revêtent leur plumage d’éclipse, sauf par de minimes différences que seuls les experts ornithologues sont en mesure de relever.

La Sarcelle d’hiver est un canard très rapide, un vrai jet dans le monde des anatidés déjà capables de développer une grande vitesse durant le vol. La morphologie caractéristique des canards, dotés d’un long cou, d’un corps trapu, de petites ailes pointues avec une portance réduite et de rémiges peu développées, nécessite d’exprimer une vitesse de croisière soutenue pour pouvoir demeurer en l’air. La Sarcelle d’hiver bat tous les autres canards à cet exercice, à tel point qu’elle se permet d’effectuer, lorsqu’elle vole en nuées compactes avec ses congénères, des évolutions aériennes semblables à celles des limicoles, avec des virevoltes et des demi-tours impromptus, des tonneaux et des glissades endiablées peu habituels pour un canard.

En période de reproduction le mâle est une vraie palette de couleur. Il y a un important dimorphisme sexuel qui disparaît presque complètement en phase d’éclipse © Gianfranco Colombo

En période de reproduction le mâle est une vraie palette de couleur. Il y a un important dimorphisme sexuel qui disparaît presque complètement en phase d’éclipse © Gianfranco Colombo

Elle peut même effectuer un décollage à l’arrêt “explosif” très rapide et parfaitement à la verticale mais à une vitesse invraisemblable, exactement comme s’il s’agissait d’une explosion inattendue qui déconcerte l’agresseur quand effectué en groupe. L’amerrissage est aussi rapide que le décollage. Ce sont des piqués de folie qui se terminent pratiquement en plongeons dans l’eau avec de tonitruants impacts. Voici certains noms vulgaires qui lui sont donnés en Europe : en anglais Common Teal, en allemand Krickente, en espagnol Cerceta Común, en italien Alzavola et en portugais Marrequinha-comum.

Zoogéographie

La Sarcelle d’hiver a une aire de nidification très vaste qui couvre presque toutes les terres émergées au dessus des 45° de latitude et s’étend jusqu’aux côtes de l’océan Arctique, d’Amérique, d’Asie et d’Europe. Elle niche également en Islande mais est pratiquement absente du Groenland alors qu’on la retrouve aux mêmes latitudes au Canada. L’Europe est le seul continent qu’elle n’occupe pas pleinement. En fait, en plus d’être absente de l’aire méditerranéenne, de la péninsule ibérique, des Balkans et d’Anatolie, sa présence est sporadique dans les parties Centre-Ouest et Est du continent avec des populations isolées et pas toujours constantes. En Italie elle n’est présente qu’en nombre réduit et clairsemé, avec quelques couples relégués principalement dans la vallée du Pô.

La femelle, à laquelle la couvaison est dévolue, a besoin d'un plumage cryptique pour passer inaperçue aux yeux des prédateurs © Gianfranco Colombo

La femelle, à laquelle la couvaison est dévolue, a besoin d'un plumage cryptique pour passer inaperçue aux yeux des prédateurs © Gianfranco Colombo

Les populations installées plus au Nord sont des migrateurs réguliers mais à courtes distances, à tel point qu’ils ne font que rejoindre la partie méridionale de leur territoire, poussant parfois plus au Sud mais restant habituellement sur le continent où ils vivent. Les colonies européennes hivernent dans l’aire méditerranéenne et un petit nombre, dans quelques localités de la côte africaine. Les populations asiatiques hivernent au Japon, en Chine méridionale et dans la péninsule indienne avec quelques sauts jusqu’au haut bassin du Nil pour les populations cisouraliques et celles venant d’Asie centrale. Les populations nord-américaines hivernent au Sud des États-Unis et au Mexique. Ceci explique pourquoi nous l’appelons Sarcelle d’hiver puisque c’est à cette période de l’année qu’on la trouve en grand nombre sur notre territoire.

Écologie-Habitat

Pendant l’été, en période de nidification, la Sarcelle d’hiver préfère les plans d’eaux calmes même de petite taille entourés d’une végétation dense mais basse, les lagunes à côté d’importants cours d’eau, les terres à demi inondées proches d’étangs mais aussi les prairies humides pouvant se situer loin de cours d’eau mais recouvertes d’épaisses touffes d’herbe afin d’y installer le nid.

Mère fidèle et assidue, c'est elle qui choisit le lieu adapté pour le nid. Elle le construit, amassant des herbes et des racines, le rend douillet en s'arrachant du duvet, et couve pendant presque 3 semaines © Gianfranco Colombo

Mère fidèle et assidue, c’est elle qui choisit le lieu adapté pour le nid. Elle le construit, amassant des herbes et des racines, le rend douillet en s’arrachant du duvet, et couve pendant presque 3 semaines © Colombo

La Sarcelle d’hiver est également présente dans la toundra, sur les petits plans d’eau qui se forment avec le dégel estival mais toujours entourés de végétation herbacée adaptée pour cacher son nid. Durant l’hiver son habitat s’élargit aux territoires composés d’une végétation plus variée. En cette période les sarcelles d’hiver se réunissent en nuées comprenant un très grand nombre d’oiseaux jusqu’à former des volées de milliers d’individus et ensemble elles aiment fréquenter des milieux plus larges et plus ouverts, des plans d’eau entourés de roseaux, des marais côtiers, des lagunes, des étangs artificiels, des estuaires, des lacs peu profonds mais aussi des cours d’eau à faible courant.

La Sarcelle d’hiver est un canard de surface. Elle se procure sa nourriture en plongeant la tête en profondeur et battant des pattes dans l’air mais parfois, comme pour s’amuser, elle plonge entièrement pour de brèves immersions à quelques centimètres de profondeur avec des mouvements très bruyants et très rapides certainement peu adaptés pour se procurer de la nourriture, plutôt pour prendre un bain ou comme pour se débarrasser de parasites.

C’est une espèce assez timide et elle n’occupe jamais un habitat partagé par les humains ou par une activité humaine. Pourtant, bien qu’étant une espèce fuyante et réservée, c’est l’une des victimes les plus communes des chasseurs à travers le monde qui durant la saison de chasse en remplissent leurs carniers.

Morpho-physiologie

Anas crecca Anas crecca est le plus petit canard du paléarctique, ne mesurant que 35 cm de long pour le mâle et un peu moins pour la femelle. Il pèse environ 350 g et son envergure est de 70 cm. Il a des ailes étroites et pointues qui le font ressembler en vol à un limicole très rapide. Le dimorphisme sexuel est important, les deux sexes ayant des livrées totalement différentes, n’offrant absolument aucune ressemblance. Certainement comme pour tous les anatidés, prévaut le concept selon lequel la femelle devant couver à découvert, il lui est nécessaire d’avoir un plumage absolument cryptique et peu visible d’en haut quand elle est sur son nid. Le plumage de la femelle est totalement marron tacheté de jaunâtre et semblable à celui de tant d’autres femelles d’anatidés plus particulièrement à celui de la Sarcelle d’été à tel point qu’on ne peut pratiquement pas les distinguer sauf par le bec plus court marqué de petites marques orangé. Elle montre un miroir alaire vert brillant presque toujours visible, y compris ailes fermées, mais ne possède pas le sourcil blanchâtre marqué de la sarcelle d’été.

Le bec est gris-verdâtre et montre de petites marques orangé à sa base et le long du bord des deux mandibules, un des petits signes qui la distingue de la Sarcelle d’été presque semblable qui l’a elle totalement gris. Le mâle au contraire, en livrée nuptiale, montre une véritable palette de couleurs. La tête complètement noisette vif, est entourée d’une large rayure vert émeraude avec des reflets bleuâtres qui, partant de la partie antérieure de l’œil, descend de chaque côté en s’élargissant, jusqu’à finir sur la nuque. En délimitation de cette rayure, dans la partie inférieure sous l’œil, court une très délicate ligne jaune qui accompagne cette rayure jusque sur les joues, en marquant distinctement les bords.

Le nid, qui contient de 2 à 7 œufs, est placé à terre, bien abrité par la végétation : seule trace, le sentier créé dans l'herbe par la femelle quand elle sort pour se nourrir © Museo Civico di Lentate su Seveso

Le nid, qui contient de 2 à 7 œufs, est placé à terre, bien abrité par la végétation : seule trace, le sentier créé dans l'herbe par la femelle quand elle sort pour se nourrir © Museo Civico di Lentate su Seveso

Le cou et les flancs sont finement marqués de lignes très fines blanches et noires, parallèles et alternées qui s’estompent sur le bas de la poitrine jusqu’à devenir des gouttes noirâtres et puis disparaître et enfin devenir blanc crème uni jusqu’à hauteur du dessous de la queue où, délimitée par une épaisse ligne très noire, elle se transforme en une large tache blanc jaunâtre très visible même de loin et surtout en vol.

Le miroir alaire est vert très brillant tendant vers le bleu sous certains angles et peu visible quand elle est posée à terre mais étincelant lorsqu’elle est en vol, reflétant la lumière du soleil. Lorsqu’elle vole, la Sarcelle d’hiver montre un dessous de l’aile blanc et sur la couverture alaire, en plus du remarquable miroir vert il y en a un autre noirâtre à côté. Les deux sont surmontés d’une bande blanche fine mais très marquée, parfois elle-même flanquée d’autres bandes marron qui courent parallèles à l’aile.

Le bec est petit et plutôt court de couleur noirâtre avec un aspect légèrement retroussé alors que les pattes sont verdâtres. La queue est courte comme chez une grande partie des canards et légèrement pointue.

En cas de danger les sarcelles s'envolent toutes ensemble, verticalement, avec une rapidité incroyable et avec le bruit d'une détonation qui déconcerte l'agresseur © Gianfranco Colombo

En cas de danger les sarcelles s'envolent toutes ensemble, verticalement, avec une rapidité incroyable et avec le bruit d'une détonation qui déconcerte l'agresseur © Gianfranco Colombo

En phase d’éclipse les deux sexes et les juvéniles revêtent une livrée semblable à celle de la femelle, difficilement repérable sauf de près et en observant attentivement.

Bien qu’elle occupe un territoire très vaste, la Sarcelle d’hiver a un nombre de sous-espèces assez limité. Elles ne sont que deux a avoir été acceptées par la taxonomie moderne, Anas crecca crecca d’Europe et d’Asie et Anas crecca nimia reléguée aux îles Aléoutiennes. La sous-espèce Anas crecca carolinensis, typique du continent américain a été placée comme espèce à part entière et classifiée sous le nom commun de Sarcelle américaine (Anas carolinensis).

Éthologie-biologie reproductive

La femelle de la Sarcelle d’hiver est une mère très fidèle et assidue. C’est elle qui choisit le lieu où est bâti le nid et qui s’occupe de sa construction et c’est elle encore qui prend soin de la couvée. Le nid est installé au sol dans un endroit sec, caché dans les herbes hautes et recouvert par l’épaisse végétation herbeuse qui en occulte la vue d’en-haut.

Elles passent les trois quarts de la journée, nuit comprise, à se nourrir de plantes aquatiques, d'insectes, crustacés, mollusques et de grains razziés dans les champs © Gianfranco Colombo

Elles passent les trois quarts de la journée, nuit comprise, à se nourrir de plantes aquatiques, d'insectes, crustacés, mollusques et de grains razziés dans les champs © Gianfranco Colombo

Des herbes sèches sont amassées ainsi que des racines et des feuilles qui sont ensuite doublées délicatement avec son propre duvet jusqu’à former une large coupe moelleuse.

Elle y pond de 7 à 12 œufs blanc-crème, plutôt petits pour un canard mais conformes à la taille très réduite de ce minuscule oiseau. L’incubation dure environ 20 jours durant lesquels le mâle reste vigilant aux alentours mais seulement pour défendre le territoire et signaler d’éventuelles intrusions de prédateurs.

Le nid peut également se trouver à quelques centaines de mètres du plan d’eau le plus proche mais il n’est pas rare de le trouver directement sur la berge. Le sentier créé dans l’herbe par la femelle, quand elle quitte le nid pour rejoindre son lieu d’alimentation, est peut-être le seul indice révélant la présence du nid de cet insaisissable oiseau. L’éclosion advient quasi simultanément pour tous les œufs pondus et les canetons sont immédiatement capables de quitter le nid et de suivre leur mère jusqu’au plan d’eau le plus proche qu’ils ne quitteront plus jusqu’à ce qu’ils aient atteint la taille adulte et qu’ils puissent voler de façon autonome. Ils resteront avec leur mère pendant environ 4 à 5 semaines encore, même s’ils sont immédiatement capables de se nourrir, avant d’être totalement indépendants.

C'est de toute façon un animal qui évite l'homme, plus sociable en hiver quand il émet sans discontinuer, risquant d’être abattu, son typique murmure de liaison © Gianfranco Colombo

C'est de toute façon un animal qui évite l'homme, plus sociable en hiver quand il émet sans discontinuer, risquant d’être abattu, son typique murmure de liaison © Gianfranco Colombo

La Sarcelle d’hiver se nourrit principalement de végétaux, préférant les herbes et les algues d’eau douce, qu’elle prélève sur le fond fouillant de son bec sous la surface. Elle aime beaucoup le grain et les graines en général qu’elle trouve en se déplaçant de nuit sur des terrains cultivés ou riches en graminées pouvant se trouver à de grandes distances des lieux où elle passe habituellement la journée.

La Sarcelle d’hiver se nourrit aussi de larves d’insectes aquatiques, de petits crustacés, de mollusques et de larves. Ce canard passe environ les trois quarts de la journée occupé à rechercher de la nourriture et doit donc aussi mettre à profit les heures du crépuscule afin de pouvoir satisfaire ses besoins alimentaires. Cet appétit peut expliquer la grande énergie qu’il déploie dans ses mouvements, toujours actif et infatigable. C’est une espèce très bruyante, les mâles en particulier, et ce à n’importe quelle période de l’année et de la journée, et dans les moments de rassemblement avec leurs congénères, durant lesquels ils émettent sans discontinuer leur typique et murmurant “guit guit guit” de liaison. Au regard de l’immense territoire occupé et de la suffisance des populations locales, cette espèce n’est pas considérée à risque.

 

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