Apus pallidus

Famille : Apodidae

Texte © Dr. Gianfranco Colombo

 

Traduction en français par Catherine Collin

 

Il aura fallu attendre presque 120 ans pour qu’un ornithologue anglais classifie le Martinet pâle, le distinguant du Martinet noir, classifié plus tôt, en 1758, par Linné.

C’est G. E. Shelley qui le fit lors de l’élaboration de son livre “Birds of Africa” publié avec l’aide de Sclater après que l’auteur ait été frappé d’une paralysie qui l’empêcha de mener son projet à terme.

Les déductions sur les différences entre ces oiseaux eurent lieu en Afrique, où ce martinet, comme tous ceux du paléarctique, se réfugie durant l’hiver.

La ressemblance entre les sujets est telle qu’aujourd’hui encore des experts en ornithologie restent souvent dubitatifs lorsqu’ils l’observent, volant très haut dans le ciel, et se prononcent avec difficulté quant au nom de l’espèce.

La convergence évolutive a mené diverses espèces d’oiseaux à montrer des comportements et des morphologies semblables tout en gardant des caractéristiques génétiques qui souvent les placent, non seulement dans des familles différentes mais aussi comme dans le cas des hirondelles et des martinets, dans des ordres différents.

Les martinets font partie de la famille Apodiformes alors que les hirondelles appartiennent à la grande famille des Passeriformes.

Le Martinet pâle (Apus pallidus Shelley, 1870) appartient donc à l’ordre Apodiformes et à la famille Apodidae. C’est l’une des trois espèces qui fréquentent les ciels d’Europe en compagnie du Martinet noir (Apus apus) et du Martinet à ventre blanc (Apus melba). Dans cet ordre sont aussi réunis tous les colibris et les mellisuges, pour un total d’environ 430 espèces réparties en 124 genres.

Il y a beaucoup de points communs entre le Martinet pâle et le Martinet noir et les caractéristiques qui les unissent sont nombreuses : les habitats et le type d’alimentation, les mouvements migratoires, les lieux de reproduction, les comportements sociaux et la morphologie.

La seule petite différence, qui peut-être a permis de séparer les deux espèces, concerne la période de migration et le nombre de couvées effectuées dans l’année. Tout le reste, et on peut le dire sans l’ombre d’un doute, concorde à la perfection.

L’étymologie du binôme scientifique vient du grec pour Apus, “a”= sans et “pous” = pieds, pour la longueur réduite de ses pattes et du latin pour “pallidus”, en référence à la couleur noire décolorée, parfois ambrée, de sa livrée.

Le nom commun italien Rondone, qui signifie “grosse hirondelle” vient du terme latin “hirundo”= hirondelle, même si certains penchent plutôt pour l’espagnol “rondar” = tourner en rond, pour leurs évolutions vertigineuses autour de leur lieu de nidification.

En Europe on l’appelle Pallid Swift en anglais, en allemand Fahlsegler, en espagnol Vencejo palido, en italien Rondone pallido, en portugais Andorinhao pàlido et un sympathique Usuamatsubame en japonais.

Initialement on pensait que cet oiseau était moins commun qu’il ne l’est en réalité et que son aire de répartition était confinée à quelques endroits bien particuliers des aires occupées par son proche cousin, mais en réalité, comme nous le verrons, il est plutôt bien répandu et ses populations assez nombreuses même si elles ne sont pas présentes de façon continue.

Les martinets sont des oiseaux exceptionnels par leur vol et lors des deux premières années de leur vie ils ne toucheront pas le sol et ce n’est que lorsqu’ils ressentiront le besoin de nicher qu’ils toucheront terre pour la première fois.

La reproduction se produit souvent après la deuxième année, en conséquence la période de vol ininterrompu dépasse souvent deux ans. Dans les faits, cet oiseau, l’un des plus grands experts en matière de vol, mange, boit, s’accouple et dort dans l’air.

Ces caractéristiques sont vraiment exceptionnelles et l’amènent à parcourir des distances incroyables avec une aisance innée, surpassant très largement d’autres oiseaux qui eux aussi passent leur vie à voler mais qui ne peuvent rivaliser avec ces capacités. Nous pensons là aux Pétrels des océans tempétueux ou à la Sterne arctique (Sterna paradisaea) qui détient le record parmi les migrateurs pour la longueur de son trajet de migration qui la porte à parcourir jusqu’à 90 000 km par an.

Les prouesses aériennes de notre martinet tiennent vraiment de l’incroyable !

Le Martinet vole horizontalement à une vitesse moyenne d’environ 80 km/h avec des pointes pouvant dépasser les 200 km/h et des ralentissements à 50 km/h. Sa conformation alaire ne lui permet pas de voler à basse vitesse pour ne pas perdre de portance.

Cela signifie qu’en 24 heures il peut aisément parcourir une distance de 1 000 km et dans l’année pas moins de 350.000 km !

Si nous ajoutons que son espérance de vie peut dépasser 15 ans, on imagine aisément le résultat.

Zoogéographie

Il suffit de comparer les aires occupées par nos deux martinets pour comprendre à quel point celle du Martinet pâle est limitée et combien, au contraire, celle du Martinet noir est vaste et variée.

Il occupe un territoire minuscule, une petite centaine de milliers de kilomètres carrés, sur lequel il est installé de façon morcelée, avec une présence éparse et jamais vraiment consistante, limitée à quelques aires montrant des conditions climatiques particulières, en évitant systématiquement d’autres qui peuvent présenter de minimes variations par rapport à son habitat habituel.

Alors que le Martinet noir se trouve entre 30° et 70° de latitude Nord, atteignant les toundras polaires et entre 0° et 130° de longitude Est, sur un territoire immense de plusieurs millions de kilomètres carrés, le Martinet pâle est limité entre les 30° et 45° de latitude Nord et 0° à 60° de longitude Est.

En Europe il occupe exclusivement les côtes méditerranéennes sans passer les Alpes ni les Carpates et seulement occasionnellement et sporadiquement les Pyrénées, de façon très limitée et sur quelques kilomètres. Il ne pénètre pas dans la péninsule balkanique qui semble être une barrière infranchissable mais au Sud, suivant les côtes, parvient jusqu’aux rives occidentales de l’Anatolie et avec quelques populations, au Proche Orient et dans le Golfe Persique.

Les populations présentes sur les côtes nord-ouest de l’Afrique jusqu’aux côtes ouest de la Lybie et continuant vers l’Est avec quelques populations isolées jusqu’à la vallée du Nil sont assez importantes.

Toutes les populations de cette espèce, asiatiques ou européennes, hivernent en Afrique subsaharienne, sans jamais franchir l’équateur, au contraire de son étroit congénère qui lui peut atteindre 30° de latitude Sud.

Le Martinet pâle passe habituellement six mois dans ses quartiers d’hiver et six mois dans ses aires de nidification. C’est l’un des migrateurs insectivores retardant le plus ses déplacements vers le Sud, restant parfois sur son lieu de naissance jusqu’à fin octobre.

La comparaison avec le Martinet noir s’impose immédiatement. Celui-ci est au contraire un migrateur parmi les plus tardifs à arriver sur les lieux de nidification (en mai) et le plus précoce pour repartir dans ses quartiers d’hiver (dès juillet).

Il semble donc assez compliqué d’attribuer une situation géographique précise et ponctuelle à cet oiseau pour des motifs récurrents.

Tout d’abord la grande difficulté à distinguer les deux espèces en vol, objet de grandes discussions parmi les observateurs ornithologues et ensuite parce qu’il s’agit là de deux espèces particulièrement mobiles qui peuvent parcourir des centaines de kilomètres par jour pour accéder, si besoin est, à des ressources de nourriture temporaires.

On a relevé sa présence en haute mer à des centaines de kilomètres de la côte ou planant sur les hautes cimes des montagnes et on peut dire avec certitude que ces lieux ne sont pas leurs sites de nidification !

L’espèce est polytypique et présente quelques sous-espèces liées principalement aux caractéristiques des territoires occupés.

Apus apus pallidus qui occupe une partie de la bande la plus au Sud de son aire de répartition, des côtes africaines aux côtes du Pakistan, Apus apus illirycus propre aux côtes de l’Adriatique et Apus apus brehemorum, la plus répandue, qui occupe le reste du territoire.

Voici un dernier détail qui montre à quel point sont répandues ces deux espèces. En 2004 BirdLife International révélait que les couples présents en Italie étaient, respectivement, au maximum 10 000 pour le Martinet pâle et 1 000 000 pour le Martinet noir, sur un total européen estimé à 39 000 couples pour le Martinet pâle et 11 000 000 pour le Martinet noir.

Estimations non comparables et montrant bien l’imbrication de ces deux oiseaux.

On considère que les populations des deux espèces jouissent d’une bonne santé, mieux même, en ce qui concerne le Martinet pâle on remarque un accroissement continu de ses populations, surtout celles vivant dans les aires les plus au Nord qui conquièrent sans cesse de plus vastes territoires.

Un exemple en est la plaine du Pô, particulièrement les grands centres urbains, où la présence et l’installation de cette espèce s’étend de plus en plus.

Ecologie et Habitat

L’habitat de cette espèce est typiquement caractérisé par le climat méditerranéen ou tout au moins marin, avec des étés torrides et secs et des hivers doux qui ont tendance à préserver pour une large part la microfaune qui est à la base de l’alimentation de ces oiseaux qui prolongent leur séjour, en automne, plus que nécessaire. Pourtant, on peut rappeler que les variables qui conditionnent ces habitats ne sont pas sûrement déterminées par la seule présence d’insectes volants quand on sait que le martinet peut se permettre de suivre la microfaune dont il se nourrit n’importe où et avec une aisance absolue.

Bien que la nourriture soit logiquement déterminante dans cette sélection, il ne faut pas oublier que le choix d’un habitat repose souvent sur la possibilité de trouver un endroit pour placer le nid, la fonction prééminente de tout être vivant étant d’assurer la pérennité de l’espèce.

On a souvent vérifié l’effet de cette variable, en particulier lors de ces dernières décennies durant lesquelles le développement des constructions a provoqué une destruction des habitats auparavant assidûment fréquentés par ces oiseaux insectivores volants.

Les vieilles maisons avec des gouttières et des toitures s’écroulant, un temps lieux de nidification des martinets, ont été modernisées et rénovées, menant à la disparition définitive de colonies qui y étaient installées depuis des décennies.

A tel point qu’aujourd’hui, il n’y a que dans les villes dotées de vieux centres historiques avec d’anciens bâtiments, des ruines, des châteaux et des manoirs, laissés tels quels sans aucune restauration moderne que l’on peut encore voir des colonies importantes, comme celles que nos ancêtres pouvaient observer.

Morpho-physiologie

Le vol du Martinet pâle est très puissant et également agile et fluide. Il n’est pas d’acrobatie aérienne qu’il ne soit capable d’exécuter à la perfection, sans un soupçon d’hésitation, avec une totale désinvolture. Opération qu’il est en mesure d’effectuer après seulement quelques heures de ce vol qui le tiendra dans l’air pendant deux ou trois ans sans toucher terre !

Vols planés et pirouettes, virages et remontées, retournés invraisemblables et inexplicables entrecoupés de rapides battements d’ailes rapides.

Tous ces jeux sont répétés par tous les martinets et à tous les moments du vol, constituant probablement un signe de sociabilité et de cohésion au sein du groupe ou, comme on le découvrira peut-être à travers de nouvelles études, des messages pour indiquer où la nourriture abonde.

Le Martinet pâle est appelé ainsi pour la légère nuance ambrée de son plumage qui le différencie du Martinet noir dont la livrée est uniformément plus foncée. On ne peut vérifier cette différence avec certitude que lorsque l’on compare deux individus capturés et manipulés. Toute autre considération de caractère morphologique au sujet d’un oiseau repéré en vol est toujours soumise à des interprétations personnelles conditionnées par la lumière, la proximité lors de l’observation ou par le cri qu’il émet très occasionnellement durant le vol.

La certitude vient bien souvent de la seconde période de ponte et du moment où on la remarque.

Au nord de l’Italie, point le plus septentrional de son aire de répartition, le 10/15 juillet semble être la limite temporelle de démarcation pour la présence des deux espèces : après cette date seul le Martinet pâle est encore présent sur cette aire.

Ce qui frappe le plus chez cet oiseau c’est la forme des ailes et leur longueur disproportionnée. Les adultes de 50 g montrent une envergure de 40 cm. Un moteur puissant qui permet, y compris à bas régime, une vitesse incroyable.

Le bec est très court. La très large bouche sert à attraper les insectes en vol. Ceux-ci finissent dans un grand sac sous la gorge qui permet de les transporter, par centaines, à des distances considérables, jusqu’au nid. La queue est courte, fortement fourchue, et quand elle est ouverte on remarque 6 couples de rectrices.

Les pattes ne sont visibles qu’à l’atterrissage quand l’oiseau s’agrippe avec ses griffes aux parois proches du nid. Comme c’est le cas pour les perroquets ou les pics, les martinets possèdent des doigts zigodactyles avec les deux externes opposables pour une prise solide.

Cependant, les pattes de ces oiseaux sont tellement courtes que le décollage en partant du sol est impossible. Il s’ensuit que les jeunes oiseaux tombés du nid au moment de l’envol ne peuvent pas décoller et meurent au sol, misérablement, s’ils ne finissent pas avant dans la gueule d’un chat.

En revanche, si le décollage est réussi, Apus pallidus et Apus apus ont une espérance de vie assez longue, dépassant 12 ans.

Éthologie-Biologie reproductive

On a remarqué que plus que son congénère, ce martinet aime rester en famille et il passe souvent ses nuits en compagnie de la femelle durant l’incubation et les premiers jours de la vie des petits, une intimité assez rare chez ces espèces d’oiseaux qui paraissent souffrir lorsqu’ils sont obligés de rester à terre.

Cela est souvent conditionné par les conditions climatiques alentour qui n’offrent pas toujours la possibilité de belle moisson dans les parages mais il est probable que l’affection entre les partenaires participe à ce choix.

Le couple est de base monogame et on pense qu’il le reste pendant quelques années, puisque l’on considère que l’une des composantes qui permet de garder le couple uni est la fidélité envers le site de nidification qu’il occupe année après année. A l’arrivée ou quelques jours après, peut-être même pendant la migration, le couple se réunit et la parade nuptiale a lieu sans tarder.

Il choisit pour installer son nid une fissure ou une tuile, un trou dans le mur d’un bâtiment, un creux dans une roche, un échafaudage, une fente dans un mur de soutènement ou même un drain désormais sec, un contrefort sur une artère à grand trafic, à quelques mètres de hauteur, tout en sachant que ces rigoles pourraient devenir de véritables pièges en cas de fortes pluies.

L’important est que cet abri présente un espace minimum permettant l’installation, même peu commode, d’un oiseau couvant et des deux oisillons à naître.

En général, ces martinets s’installent pour bâtir leurs nids en colonies regroupant quelques couples parfois séparés, en raison des besoins logistiques et de l’espace, de quelques dizaines de mètres mais la coexistence durant les activités habituelles de la journée est toujours assurée. On n’a jamais vu les martinets voler isolément mais toujours en groupes unis et proches comme il est habituel au sein d’un groupe à la vie sociale développée.

On ne peut pas vraiment parler de nid, dans la mesure où il s’agit là d’un simple petit amas de matériaux récoltés en vol et collés avec la salive jusqu’à former une petite coupe ovale. Ce sont généralement de douces plumes, des herbes sèches, des morceaux de matériaux variés : tout ce qui peut être porté par le vent.

Habituellement deux œufs sont pondus, rarement 3 et très exceptionnellement 4, couvés par les deux parents pendant trois semaines environ.

Comme nous l’avons déjà mentionné, lors de l’incubation et de l’éclosion, en particulier durant la nuit, les deux parents restent parfois ensemble sur le nid se tenant amoureusement compagnie, attendant la naissance des petits, mais à l’aube un des deux s’envole laissant l’autre seul jusqu’au moment du changement.

La durée de l’incubation est d’environ 20 jours et est effectuée par les deux parents. Les petits restent au nid pendant un long moment et ont besoin de 6 semaines environ pour trouver la force et le courage de se jeter dans le vide.

La première nichée a lieu peu de jours après l’arrivée et peut coïncider selon le lieu, avec la période allant de fin mars à fin mai alors que la seconde, vers juillet montre souvent un retard anormal pouvant retarder l’envol jusque tard en automne. Cette seconde nichée peut même avoir lieu fin août et ainsi retarder l’envol jusqu’à octobre.

Les jeunes sont nourris avec de grandes quantités d’aliments très protéinés, ce qui fait qu’au moment de l’envol ils sont plus grands que leurs parents.

Le moment adéquat arrivé, les petits ne sont plus autant nourris, afin de les pousser à quitter le nid pour rejoindre les parents et à chercher de la nourriture.

Le baptême de l’air est assez risqué : un plongeon dans le vide sans aucune expérience, sans aide ni assistance et c’est le grand départ à travers les ciels du monde entier.

Si vous trouvez un petit martinet à terre, le seul moyen de le sauver est de le prendre et de le lancer d’un endroit en hauteur. En quelques secondes, après la chute libre, il rejoindra avec des cris de joie ses compagnons de vol.

Synonyme

Cypselus pallidus Shelley, 1870.