Datura stramonium

Famille : Solanaceae


Texte © Giorgio Venturini

 

michel.gif
Traduction en français par Michel Olivié

 

Datura stramonium est commun dans les régions tempérées et subtropicales de l'hémisphère Nord © Giuseppe Mazza

Datura stramonium est commun dans les régions tempérées et subtropicales de l'hémisphère Nord © Giuseppe Mazza

Le genre Datura, comprend environ 9 espèces réparties dans les régions tempérées et chaudes de tous les continents, surtout en Amérique Centrale. Il s’agit d’herbes, d’arbustes et aussi d’arbres, presque tous dotés de propriétés toxico- pharmacologiques similaires et souvent utilisés dans les pratiques magiques de divers pays.

Le Datura officinal ou Stramoine (Datura stramonium Linneo, 1753), dit aussi herbe aux fous, pomme-épineuse, herbe-aux-taupes, chasse-taupe, herbe du diable, endormeuse, pomme poison, trompette des anges, herbe Jimson, trompette de la mort) est une plante herbacée annuelle qui a une racine pivotante et blanchâtre et une tige dressée avec des ramifications. Elle est haute de 50 à 200cm et appartient à la famille des Solanaceae.

Le nom du genre, Datura, vient du sanskrit “dhatturah” ; celui de l’espèce, stramonium, vient peut-être du grec “strychnos” qui est le nom d’une plante vénéneuse probablement du genre Solanum (mais il veut dire aussi amer) + “mania” = folie.

En anglais elle est appelée Jimson weed, Thornapple, en espagnol Estramonio, en allemand gemeine Stechapfel.

Le nom anglo-américain Jimson weed (contraction de Jamestown weed) a une origine très intéressante. En 1676 à Jamestown (Virginie) éclata la première insurrection des colons américains contre le gouverneur anglais. Aux soldats anglais expédiés pour mater la rébellion on donna une salade contenant de la stramoine et aussitôt les effets hallucinogènes de la plante se manifestèrent violemment. Selon un compte-rendu de 1705 les soldats, pendant 11 jours, se livrèrent à “une comédie très divertissante où ils se transformèrent en fous ; l’un lançait une plume en l’air avec son souffle tandis qu’un autre s’efforçait frénétiquement de l’atteindre avec de petits bouts de bois ; un autre, entièrement nu, s’asseyait dans un coin en imitant un singe, un quatrième embrassait passionnément ses compagnons… Tous leurs agissements étaient pleins d’innocence. Ils n’étaient cependant pas très propres car ils cherchaient à se rouler dans leurs excréments….Ils finirent par revenir à eux mais ne se souvenaient aucunement de ce qui était arrivé” Nous pouvons en déduire que la répression militaire fut sans succès et que donc Jamestown fut sauvée par la stramoine qui depuis a pris le nom de “plante de Jamestown”.

Le Datura stramonium est une plante généralement glabre ; seules les parties jeunes présentent un duvet qui disparaît au moment de leur croissance. Les feuilles sont alternes, grandes (jusqu’à 20 cm), ovales avec des bords fortement dentés et une odeur nauséabonde qui est nettement perceptible quand elles sont froissées. La face supérieure est vert foncé, celle de dessous est plus claire. Les fleurs sont très apparentes, blanches, parfois avec des dégradés violacés, en forme de trompette, d’une longueur pouvant atteindre 10 cm, avec un calice allongé de couleur verte. La corolle a 5 pétales plissés, soudés et acuminés, 5 étamines et un seul pistil avec un ovaire en partie haute. L’étamine est bifide. Les fleurs sont en général complètement ouvertes la nuit. La pollinisation entomophile est assurée par les insectes attirés par l’odeur pénétrante et douceâtre des fleurs. Les effluves, si elles sont respirées longtemps, ont un effet narcotique.

La plante produit une “pomme” épineuse (d’où les noms de pomme épineuse, de thornapple et de Stechapfel) qui est divisée en quatre loges contenant de nombreuses graines noires en forme de haricot. Le fruit mûr s’ouvre en dévoilant les quatre loges et libère les graines. La floraison est estivale. Elle pousse dans les régions tempérées et subtropicales de l’Eurasie et de l’Amérique. Elle est très commune et même envahissante dans les lieux incultes, près des décombres et sur les bords des routes.

L’origine du genre Datura d’après de nombreux chercheurs, est centre-américaine mais sa présence dans l’Ancien Monde au cours de la période pré-colombienne est largement documentée. On pense donc que cela prouve , de toute façon, que le transport des plantes et des graines s’est effectué à des époques très reculées.

La fleur s'ouvre au maximum la nuit et attire les insectes par son odeur pénétrante et douceâtre © Giuseppe Mazza

La fleur s'ouvre au maximum la nuit et attire les insectes par son odeur pénétrante et douceâtre © Giuseppe Mazza

La diffusion peut avoir été facilitée par l’extrême résistance des graines qui supportent même de longs voyages sur des amas de végétaux transportés par la mer. Cette résistance explique aussi la très grande diffusion des diverses espèces de Daturas. Les oiseaux, de même, avec leurs excréments, contribuent à la dispersion des graines. Diverses espèces de Daturas , surtout celles qui se présentent sous la forme d’arbustes ou d’arbres, sont cultivées en tant que plantes ornementales.

Toxicité et pharmacologie

Toute la plante est fortement toxique en raison de la présence des alcaloïdes Scopolamine ou Hyoscine, Atropine (DL-Hyoscyamine) et L-Hyoscyamine, de la même façon que d’autres Solanacées comme la jusquiame (Hyoscyamus niger) ou la belladone (Atropa belladonna).

Ces substances agissent en inhibant fortement la fonction des récepteurs muscariniques de l’acétylcholine tant dans le système nerveux central que dans le système nerveux autonome parasympathique (voir le texte sur le Hyoscyamus niger). Les effets de la stramoine sur le système nerveux central sont plus nets que ceux des autres solanacées citées plus haut pour ce qui concerne le déclenchement des délires et des hallucinations.

Le bétail, en général, s’abstient d’en manger, car probablement repoussé par la forte odeur et le goût exécrable de la plante : sa présence dans les pâturages ne présente donc pas, en règle générale, de danger pour les animaux. On constate toutefois, occasionnellement, des intoxications chez les animaux domestiques et il a été fait mention de cas chez les bovins, les chevaux, les ovins, les chèvres, les cochons et les volailles.

Pendant des siècles la stramoine a été utilisé pour le traitement de l’asthme et comme anesthésique pour les interventions chirurgicales et la réduction des fractures. L’usage anti-asthmatique, qui s’explique par la paralysie provoquée par les alcaloïdes de la stramoine sur les muscles lisses des bronches, est très ancien : l’usage consistant à fumer des cigares ou des pipes de feuilles de stramoine lors des crises d’asthme est attesté par des textes de la médecine ayurvédique et a été importé en Europe à la fin du XVIIIe siècle.

L’usage de la stramoine comme anesthésique pour les réductions de fractures a été observée chez les Indiens Zuni du Nouveau-Mexique tandis que dans l’ancienne Chine on l’utilisait en chirurgie comme anesthésique. Actuellement l’atropine et la scopolamine contenues dans la stramoine sont employées dans la thérapie symptomatique de la maladie de Parkinson, dans le traitement et la prévention des cinétoses (le mal des transport) et en ophtalmologie (pour les autres usages voir les textes sur Hyoscyamus niger et sur Atropa Belladonna). La stramoine peut aussi être employé comme adjuvant dans les traitements des toxico-dépendances, car il diminue le delirium tremens alcoolique et les symptômes liés au sevrage de morphine. Une utilisation aujourd’hui abandonnée est celle qui concerne les maux de dents. Les propriétés toxiques de la plante ont été aussi utilisées à des fins criminelles, surtout en Inde. La stramoine est également un puissant hallucinogène employé dans les rites religieux et magiques à cause des visions intenses qu’il procure. Son usage est cependant extrêmement dangereux à cause de l’étroitesse de l’intervalle thérapeutique, ce qui veut dire que les doses suffisantes pour être efficaces sont très voisines de celles qui sont toxiques et potentiellement mortelles. Il existe donc un haut risque de surdose, surtout du fait de l’ignorance des utilisateurs et de la grande variabilité du contenu de la plante en alcaloïdes qui peut varier dans un rapport de 1 à 5 chez différents spécimens.

La toxicité varie aussi avec l’âge de la plante et subit l’influence des caractéristiques du terrain et du climat. Elle varie aussi de façon imprévisible d’une feuille à l’autre. La répartition des différents alcaloïdes contenus dans la plante est aussi très variable. Ces variations imprévisibles rendent le Datura stramonium extrêmement dangereux et contribuent à la fréquence élevée d’accidents graves chez ceux qui le consomment pour le plaisir en ingérant des parties de la plante ou ses extraits pour leur action psychoactive.

Le fruit est une “pomme” épineuse qui s'ouvre à maturité en 4 loges © Giuseppe Mazza

Le fruit est une « pomme » épineuse qui s'ouvre à maturité en 4 loges © Giuseppe Mazza

Histoire et usages magiques

La stramoine a une longue histoire en tant que remède et qu’hallucinogène sacré. Les anciens textes sanskrits et chinois font déjà mention de cette plante et Avicenne (Ibn Sina, Xe siècle) la cite en reprenant probablement un texte de Dioscoride (Ier siècle). Dans l’ancienne Chine on utilisait une infusion de Datura stramonium et de Cannabis mélangés à du vin en guise d’anesthésique et d’hallucinogène.

En Inde la plante était consacrée à Shiva. Des danseuses, dans les cérémonies, offraient une boisson contenant cette drogue avec ses graines et celui qui en buvait perdait le contrôle de sa volonté. La plante aurait surgi de la poitrine de Shiva. Ses fleurs sont encore aujourd’hui utilisées comme offrandes de cérémonie au Népal.

L’usage de la stramoine est bien documenté en Inde et au Tibet. Ses effets sont cités dans divers textes ayurvédiques. On en parle aussi dans le Kamasutra (IVe au VIe siècle) : “ si de la nourriture est mélangée au fruit de la pomme épineuse elle provoque des intoxications”. On suggère aussi d’enduire le pénis d’une infusion de stramoine mélangé à du miel avant le rapport sexuel afin de soumettre le partenaire à sa volonté.

Dans l’iconographie bouddhiste le datura est associé à Bouddha et aux extases de l’Illumination. Dans un texte bouddhiste Mahayana il est écrit : “et ensuite dans une forêt de daturas …(Bouddha) resta en contemplation… puis Bouddha accepta les offrandes posées dans sa sébile de mendiant par les divinités qui habitaient dans le bois de daturas et les bénit.”.

On pense que la stramoine ou des plantes ayant des propriétés pharmacologiques similaires ont été utilisées à des fins médicales et rituelles dans l’Antiquité et certains chercheurs ont soutenu que cette plante aurait été employée par les anciens Grecs dans le temple d’Apollon à Delphes (l’oracle de Delphes) pour provoquer chez les devins des transes destinées à leur permettre d’entrer en contact avec les divinités.

En Afrique aussi, en Éthiopie, l’usage du Datura stramonium pour ouvrir l’esprit au divin était commun.

La plus grande diffusion de l’usage magique de la stramoine a eu toutefois pour cadre le continent américain, zone d’origine de la plupart des espèces du genre Datura.  Du fait des hallucinations fortes et durables qu’il génère l’usage magique et mystique du Datura stramonium dans les Amériques comme moyen de communication avec le monde des esprits est très ancien. Les Zuni, des Indiens Pueblos du Nouveau-Mexique, utilisaient la stramoine dans leurs rites chamaniques. Les anciens habitants de la Californie ingéraient ses graines pour communiquer avec les dieux. Il en était de même d’autres peuples américains, comme les Cherokees. Le stramoine, comme les autres plantes aux effets hallucinogènes similaires, étaient de puissants instruments de divination. Après avoir ingéré la substance le prêtre tombait dans des transes où il était possédé par les dieux et les esprits. À son réveil il révélait le contenu de ses violentes hallucinations qui était ensuite interprété en fonction des circonstances.

En Europe le stramoine, de même que la belladone et le jusquiame, était un des principaux ingrédients des onguents des sorcières : les substances hallucinogènes absorbées à travers la peau donnaient l’impression de voler qui est à l’origine du mythe des sorcières qui volent à cheval sur un balai (voir le texte sur la jusquiame Hyoscyamus niger). Les propriétés narcotiques et hallucinogènes étaient mises à profit pendant les sabbats pour avoir les visions démoniaques indispensables. L’usage magique était si répandu qu’à l’époque de la chasse aux sorcières en Angleterre il était très dangereux d’avoir de la stramoine dans son jardin car l’on risquait d’être accusé de sorcellerie.

La stramoine était considéré comme un moyen sûr de reconnaître les sorcières : celles-ci, en effet, auraient été irrésistiblement attirées par l’odeur d’une plante exposée sur le rebord d’une fenêtre.

Les minuscules graines savent attendre et supportent même de longs voyages et les embruns © Giuseppe Mazza

Les minuscules graines savent attendre et supportent même de longs voyages et les embruns © Giuseppe Mazza

À une époque plus récente les œuvres du grand peintre flamand Hieronymus Bosch représentaient souvent des scènes d’orgie, des figures monstrueuses et grotesques, des êtres volants et des démons diaboliques d’un Enfer vu comme un cauchemar effrayant. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse que ces images pourraient provenir d’hallucinations obtenues par l’intermédiaire de la consommation des drogues utilisées à l’époque, comme celles contenues dans les onguents des sorcières. À l’appui de cette hypothèse il y a aussi, de toute évidence, la présence dans la plus célèbre des œuvres de Bosch, le merveilleux triptyque du “Jardin des Délices” d’une représentation incontestable de la pomme épineuse du stramoine.

Kipling, aussi, dans le récit “ L’ankus du roi” contenu dans les “Livres de la Jungle” parle d’un empoisonnement mortel dû à du datura ajouté à une brioche. Kipling définit la plante ainsi : “ Apple of Death is what the Jungle call thorn-apple or dhatura, the readiest poison in all India “. Enfin les Tiamat, un groupe de rock suédois, a produit une chanson sur la stramoine . De nos jours les cas d’intoxication dus à l’usage volontaire de la stramoine sont de plus en plus nombreux.

Pendant la période 1983-1987 le National Poison Data System des États-Unis a fait état d’une moyenne de 74 intoxications volontaires par an dues à des plantes anticholinergiques, comme le stramoine, la belladone et le jusquiame. Ce chiffre pendant la période 2004-2008 est monté jusqu’à atteindre une moyenne annuelle de 427 (le nombre des intoxications dues à l’ingestion accidentelle est aussi très élevé : il a été ces dernières années de l’ordre d’un millier par an).

Dans un quotidien de Trévise d’octobre 2013 il est écrit : “Nous mettons notre vie en danger en buvant une tisane au stramoine, l’”herbe du Diable”. À Pianzano di Godega Sant’Urbano, dans la province de Trévise, trois jeunes, Alex, Luca et Mattia, âgés de 19, 20 et 23 ans, ont utilisé de l’herbe hallucinogène pour s’amuser au cours d’un festin. Ils ont fini à l’hôpital en salle de réanimation dans un état grave… ils cherchaient un “trip” différent pour le samedi soir”.

Chez les jeunes les cas d’intoxications dus à la stramoine associés à des intoxications par l’alcool ne sont pas rares. La diffusion de l’habitude d’un usage volontaire de la stramoine et d’autres plantes aux effets similaires est aussi imputable aux médias de l’information et surtout aux sites irresponsables présents sur le réseau Internet. Une lourde responsabilité à cet égard a été mise au compte des livres à caractère mystique de Carlos Castaneda, comme “A scuola dallo Stregone (Gli insegnamenti di don Juan)” , qui décrivent et vantent les expériences, vraies ou exagérées, que l’auteur a faites en usant de substances hallucinogènes comme le stramoine, sans mettre en évidence leur extrême dangerosité.

Les symptômes de l’intoxication chez l’homme sont la sécheresse de la bouche, un pouls rapide, de l’agitation, une respiration accélérée, de la soif, des diarrhées et la dilatation de la pupille. Dans les cas les plus graves il se produit des convulsions, des hallucinations, du délire, le coma et parfois la mort. Les symptômes durent en général de 24 à 48 heures mais dans certains cas ils ont même duré 2 semaines. Pour le traitement des intoxications les plus graves on utilise la physostigmine. Ce médicament empêche la dégradation enzymatique de l’acétylcholine, ce qui augmente donc sa disponibilité, et peut donc inhiber les alcaloïdes de la stramoine qui agissent comme des inhibiteurs efficaces de l’acétylcholine même.

Le phénomène socio-sanitaire de l’usage des substances végétales hallucinogènes ou stupéfiantes est certainement préoccupant mais n’est certes pas comparable à celui de la drogue “bon genre” qu’est le tabac. Nous devons toujours rappeler que l’on estime que dans le monde 5 millions de morts sont causées chaque année par le tabac. La gravité de ce phénomène est encore plus grande si nous pensons au problème du tabagisme passif. En Europe on évalue à 80.000 le nombre des décès annuels dus uniquement au tabagisme passif.

Synonymes : Datura inermis Juss ; Datura tatula L.

 

→ Pour apprécier la biodiversité au sein de la famille des SOLANACEAE cliquez ici.