Hydrophis elegans

Famille : Hydrophiidae

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Texte © Dr. Gianni Olivo

 

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Traduction en français par Michel Olivié

 

Hydrophis elegans

L’Hydrophis elegans n’a qu’un poumon mais respire aussi en partie par la peau © Giuseppe Mazza

Les serpents de mer venimeux étaient considérés autrefois comme distincts des autres serpents dotés de glandes à venin alors qu’on tend aujourd’hui à les classer parmi les élapidés.

D’une façon générale, si l’on exclut les serpents de mer non venimeux qui sont répertoriés dans d’autres familles (comme par exemple celle des Colubridés qui inclut les Homalopsinae et un représentant des Natricinae et celle des Acrochordidae) les serpents de mer vénéneux sont regroupés dans deux familles : celle des Hydrophiidae, à savoir les véritables serpents de mer, et celle des Laticaudidae appelés bongares de mer ou “sea kraits”.

On ne traitera ici que d’une seule espèce appartenant aux Hydrophiidae : le Serpent de mer élégant (Hydrophis elegans).

Ce reptile a une vaste répartition géographique qui depuis les côtes septentrionales, occidentales et orientales de l’Australie s’étend vers l’Est jusqu’à une grande partie des îles et des archipels du Pacifique, au Nord jusqu’aux côtes du Sud-Est asiatique via l’Indonésie et à l’Ouest jusqu’au Sri-Lanka. Il a une préférence pour des eaux profondes et troubles avec des fonds boueux ou sablonneux où il chasse des anguilles et de petites murènes. La conformation en “coin” de son corps, comme on le verra plus loin, avec sa partie antérieure plus effilée et sa partie arrière plus grosse lui permet de s’introduire plus facilement dans les trous où ces poissons trouvent refuge.

Ce régime alimentaire spécialisé est propre également à d’autres hydrophidés dotés d’une bouche relativement étroite qui les empêcherait d’avaler des poissons volumineux. C’est un serpent qui atteint de grandes dimensions, jusqu’à 220 cm de long, bien que la longueur moyenne pour les adultes se situe aux alentours de 180 cm. Sa queue est aplatie transversalement en forme de pagaie ou de rame et constitue un organe natatoire extrêmement efficace. Son corps est svelte mais, curieusement, il tend à grossir dans sa partie postérieure.

Un de ses noms anglais, bar-bellied seasnake, se rapporte principalement aux individus juvéniles qui présentent des bandes bien visibles et très nettes alors que chez l’adulte ces bandes s’estompent et se réduisent parfois à une série de taches dans la région vertébrale ou même dans certains cas peuvent disparaître totalement. Assez souvent toutefois ces bandes restent visibles aussi chez l’adulte bien qu’elles soient en général peu nettes. La couleur de fond est variable et va du marron clair au marron foncé et au vert olive et jusqu’au gris clair. Il existe même des individus qui sont blancs. La partie ventrale est claire ou blanche sauf la partie inférieure du cou qui peut être foncée ou même noire. La tête peut être de la même couleur que le corps ou légèrement différente avec des teintes tendant vers le gris ou le gris/vert mais elle peut être également très foncée.

Il n’existe pratiquement pas de dimorphisme sexuel. La coloration est presque identique chez les deux sexes. La seule différence, mis à part le système reproducteur, réside dans la longueur qui est en moyenne plus grande chez la femelle. Les écailles sont disposées sur 35 à 45 rangées à mi-longueur du corps. Les écailles ventrales, à la différence de la plupart des serpents terrestres, ont les mêmes dimensions que celles du reste du corps ou sont tout au plus légèrement plus grandes. Les écailles qui recouvrent la tête sont relativement grandes et lisses. Chez les individus adultes les écailles pré-oculaires et post-oculaires présentent de petites protubérances.

Les crochets à venin sont relativement courts, de 2,5 à 3 mm en moyenne, bien qu’il ait été fait état de longueurs de 3,9 mm. En ce qui concerne la dangerosité des serpents de mer vénéneux en général il existe chez le grand public beaucoup d’idées reçues et de croyances inexactes.

Hydrophis elegans

La morsure de l’Hydrophis elegans peut être mortelle pour l’homme © Giuseppe Mazza

Il est vrai qu’en moyenne les serpents de mer vénéneux possèdent des venins très puissants mais il est tout aussi vrai que la plupart d’entre eux ne peuvent inoculer quand ils mordent que des doses beaucoup plus réduites que celles de bien des serpents terrestres. Ici aussi il y a, comme il se doit, des exceptions et par conséquent j’ouvre une parenthèse pour m’efforcer d’expliquer ce que je veux dire. Beaucoup de serpents de mer sont presque inoffensifs soit parce qu’ils sont très peu enclins à mordre (comme par exemple Pelamis platurus et Laticauda laticaudata) soit à cause de la fréquence élevée de “dry bites” (morsures sèches) soit encore du fait des faibles doses de venin qu’ils sécrètent mais, à l’opposé, il existe des espèces très dangereuses et parmi elles je citerai surtout Enhydrina schistosa qui est responsable de 90 % des cas mortels de morsures de serpents de mer et qui peut inoculer jusqu’à 80 mg de venin, assez pour tuer théoriquement plus de 50 personnes adultes. Il a de plus un tempérament agressif et est toujours prêt à mordre.

En ce qui concerne l’Hydrophis elegans la dose de venin qu’il inocule quand il mord ou que l’on peut extraire au moyen d’un prélèvement est modeste : 7 mg en moyenne. C’est un venin dont la puissance est semblable à celle du cobra indien (Naja naja) ou un peu supérieure (1,1 fois)  mais la dose produite et inoculée est assez faible.

Dans un traité en ma possession il est fait état d’une des nombreuses études comparatives qui ont été menées au sujet de l’effet de différents venins sur l’être humain. D’une façon générale les tableaux et les statistiques concernant la dose mortelle pour l’homme sont, par la force des choses, assez approximatifs car la réaction à un venin varie énormément en fonction d’un grand nombre de facteurs.

Même la DL50 qui est acceptée et utilisée partout comporte une certaine approximation parce qu’il est difficile d’établir une équation mathématique entre la dose qui tue 50 % des souris inoculées et celle qui serait mortelle pour l’homme. Toutefois dans l’étude dont je parle on a étudié  des serpents de mer et des serpents terrestres et on a extrapolé le nombre de personnes qui pourraient être tuées à la suite d’une morsure moyenne (avec une production moyenne de venin) et d’une morsure maximale (avec une production ou un prélèvement maximal de venin). Voici quelques résultats dont celui qui concerne le serpent de mer élégant.

Serpents terrestres :

* Serpent tigre australien (Notechis scutatus) : il peut tuer 5,6 personnes avec une morsure moyenne et plus de 52 avec une morsure maximale.

* Cobra royal (Ophiophagus hannah) : de 21 à 25 personnes malgré un venin 4 fois moins puissant  que celui de Naja naja mais on a affaire dans ce cas à des doses industrielles.

* Cobra indien (Naja naja) : de 9,66 à 35.

Serpents de mer:

* Enhydrina schistosa peut tuer 5,6 personnes avec une morsure moyenne et plus de 52 avec une morsure maximale (un véritable record!).

* Lapemis curtus : respectivement 2 et 6,5.

* Pelamis platurus (serpent marin à ventre jaune) : de 0,4 à 1.

* Hydrophis elegans : de 0,47 à 1,27.

Hydrophis elegans

Il se nourrit d’anguilles et de petites murènes. Le motif du dos est plus net chez les jeunes © G. Mazza

En conclusion, même en cas de morsure “pleine”, cette espèce dont le venin a une puissance égale ou un peu supérieure à celle du cobra indien ne pourrait tuer un homme adulte qu’au moyen d’une inoculation maximale, c’est-à-dire avec la dose maximale qu’elle est en mesure d’accumuler dans ses glandes à venin là où le cobra asiatique pourrait en avoir suffisamment pour au moins 35 personnes.

Comme la plupart des serpents de mer son venin contient des composants myotoxiques qui détruisent les fibres musculaires en libérant de grandes quantités de myoglobine. Il n’y a pas en général d’effets localisés comme la décoloration de la peau à l’endroit de la morsure, des nécroses et des œdèmes mais dans le cas d’un empoisonnement sérieux, après environ une demi-heure ou une heure, les muscles même éloignés du membre touché deviennent douloureux et se contractent tandis que se manifestent également des symptômes neurologiques, des vomissements, des troubles visuels, etc…

La myoglobine libérée par la destruction des fibres musculaires apparaît ensuite dans les urines (myoglobinurie) en leur donnant une couleur foncée de teinte acajou.

La paralysie respiratoire qui peut faire s’aggraver la situation peut être liée à un effet tant myotoxique que neurotoxique.  Une complication redoutable est toutefois l’insuffisance rénale liée à la myoglobinurie. En cas d’empoisonnement mortel la mort survient habituellement après 12 à 36 heures.

Respiration : les serpents de mer, en plus de capter l’oxygène de l’air au moyen d’un unique poumon quand ils émergent, ont la capacité, plus ou moins grande suivant les espèces, d’absorber l’oxygène de l’eau à travers leur peau quand ils sont en immersion et de prolonger ainsi leur réserve et le temps qu’ils peuvent passer sous la surface.

Ce fait semble étonnant dans la mesure où leur peau qui est recouverte d’écailles et coriace ne paraît pas convenir pour ce rôle qui est dévolu en général à des membranes et à des muqueuses fines et richement vascularisées.

Une expérience a pourtant prouvé à certains chercheurs qui en avaient eu le pressentiment que ce type d’échanges gazeux existe réellement. Un serpent de mer a été placé dans un récipient rempli jusqu’au bord d’eau de mer et dont on avait même éliminé les bulles d’air résiduelles. Le contenu en O² a été mesuré avant l’introduction du reptile. Après qu’il ait séjourné quelques minutes la quantité d’oxygène avait diminué. Craignant que cette consommation ne puisse être l’œuvre de microorganismes présents sur la peau du serpent on a ensuite désinfecté celle-ci soigneusement afin d’éliminer les bactéries, les algues et autres formes de vie mais le résultat ne changea pas ce qui prouve l’existence d’une respiration transcutanée. Certaines espèces comme Pelamis platurus et Aipysurus laevis peuvent extraire de l’eau jusqu’à un cinquième de l’oxygène qui leur est nécessaire alors que chez d’autres espèces comme le serpent de mer élégant ce pourcentage est moindre tout en étant significatif.

Reproduction : ce serpent est ovovivipare et met au monde 12 à 24 petits déjà actifs.

Noms communs : Elegant seasnake, Bar-bellied seasnake (anglais).

 

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