Nasalis larvatus

Famille : Cercopithecidae


Texte © Prof. Angelo Messina

 

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Traduction en français par Catherine Collin

 

Un mâle avec un grand nez et un gros ventre est le summum des canons de beauté chez les nasiques

Un mâle avec un grand nez et un gros ventre est le summum des canons de beauté chez les nasiques © G. Mazza

Communément connu comme Nasique, Long nez ou Singe à trompe, Nasalis larvatus (Wurmb, 1787) est appelé de façon méprisante par les populations locales “Monyet Belanda” (= Singe Hollandais) pour sa ressemblance avec les colons néerlandais, en particulier pour son long nez rouge.

Il est actuellement considéré comme l’unique espèce de Nasalis, genre de singes Catharriniens de la famille Cercopithecidae

Dans le passé, d’autres espèces ont été attribuées au genre Nasalis, comme Nasalis capistratus (Kerr, 1792), Nasalis nasica (Lacépède, 1799) et Nasalis recurvus (Vigors & Horsfield, 1828). Aujourd’hui, celles-ci sont considérées par de nombreux spécialistes comme synonymes de l’unique espèce du genre, Nasalis larvatus, du latin “nasus larvatus” qui signifie gros nez.

Morpho-physiologie

Le Nasique, l’un des plus grands singes d’Asie, présente une taille qui chez les mâles atteint 70 cm de long en moyenne, pour un poids compris entre 16 et 22 kg. Les femelles sont plus petites.

La queue est bien développée, aussi longue que le reste du corps, et sans toupet à l’extrémité.

D’aspect très singulier, les représentants du genre Nasalis sont appelés ainsi pour leur spectaculaire nez mobile et pendant, élargi vers le milieu et traversé dans le sens de la longueur par un profond sillon.

Cet organe est particulièrement développé chez les mâles adultes et présente l’aspect d’une petite trompe, longue de 10 cm ou même plus, capable de se dilater et qui peut même couvrir la bouche.

Chez les femelles, le nez est nettement plus petit et retroussé, même s’il est plus grand que celui d’autres espèces de primates semblables. Les narines s’ouvrent vers le bas.

Le nez, par sa conformation particulière, alliée à la présence d’un petit sac laryngé, fonctionne comme une caisse de résonance, donnant aux vocalises des mâles nasiques une profonde intonation nasale très caractéristique, semblable à celle d’une basse.

De fait, cette femelle au nez retroussé le regarde avec admiration, espérant être admise dans son groupe

De fait, cette femelle au nez retroussé le regarde avec admiration, espérant être admise dans son groupe © Giuseppe Mazza

Quant à la fonction d’un nez aussi singulier chez les mâles, qui de toute façon représente sans aucun doute un caractère sexuel secondaire, il n’y a pas de consensus entre les spécialistes. Selon certains, il a fonction de stimulation sexuelle, selon d’autres, c’est une structure de dispersion de la chaleur.

S’agissant là d’une caractéristique exclusivement masculine, et partant, d’un élément distinctif des sexes, il nous semble donc évident que la configuration particulière du nez chez les individus de sexe masculin vise principalement à opérer dans le cadre des rapports reproductifs.

Celui-ci, au nez modeste et à l’air triste, fait probablement partie des mâles rejetés par les femelles et qui vivent en groupes séparés

Celui-ci, au nez modeste et à l’air triste, fait probablement partie des mâles rejetés par les femelles et qui vivent en groupes séparés © Fernando Iglesias

En revanche, l’hypothèse selon laquelle les mâles disposent d’un instrument de dispersion de la chaleur que les femelles n’ont pas nous semble pour le moins peu crédible.

Le Nasique a une tête plus ou moins arrondie dotée de longs poils, un front très bas, des yeux assez espacés et de petites oreilles. La face est ornée d’une barbe bien développée qui forme un collier jaunâtre autour du cou.

Les paumes de ses mains sont glabres, comme les callosités ischiatiques, bien développées et habituellement blanchâtres.

Pour avoir du succès, il faut manger beaucoup de feuilles et des fruits acerbes, auxquels on ajoute parfois des invertébrés, chenilles ou larves d'insectes

Pour avoir du succès, il faut manger beaucoup de feuilles et des fruits acerbes, auxquels on ajoute parfois des invertébrés, chenilles ou larves d’insectes © John Tomsett

En plus du grand nez, un autre élément morphologique distinctif du Nasique mâle est son ventre proéminent, dû à une importante accumulation de graisse, qui lui permet de flotter sans problème, ce qui en fait un excellent nageur.

Son corps est recouvert d’un manteau épais et souple, plus développé sur la partie postérieure que sur la partie inférieure. Sur la tête et sur les épaules les poils sont roux-brun, alors que sur la poitrine et sur le ventre ils prennent une teinte jaune-roussâtre claire, avec une tache blanc-grisâtre bien délimitée dans la zone du sacrum. Le dos et les flancs sont jaune pâle.

Un mâle dominant doit se faire entendre par des vocalises puissantes aux intonations nasales caractéristiques, de basses, entendues de très loin

Un mâle dominant doit se faire entendre par des vocalises puissantes aux intonations nasales caractéristiques, de basses, entendues de très loin © Ger Bosma

Les membres supérieurs sont roux-jaunâtres, les membres inférieurs eux, sont gris-cendré. La longue queue est blanche avec l’extrémité noire. Les mâles montrent un scrotum noir et un pénis rouge.

Une autre caractéristique qui rend ce singe différent des autres primates est clairement en rapport avec son alimentation à base de végétaux. Il s’agit de la division de son estomac en plusieurs poches comme celui des ruminants; ce qui, allié à la flore bactérienne particulière de son appareil digestif, confère au Nasique la capacité de digérer la cellulose très présente dans son alimentation .

Dans ces circonstances il faut alors se jeter dans le vide, avec des sauts de 8 m, pour rejoindre le groupe ou pour fuir

Dans ces circonstances il faut alors se jeter dans le vide, avec des sauts de 8 m, pour rejoindre le groupe ou pour fuir © John Tomsett

Zoogéographie

Nasalis larvatus est une espèce endémique de Bornéo, ou elle se trouve confinée dans un milieu très restreint représenté par la forêt pluviale des basses plaines proche d’eaux intérieures, par les mangroves côtières et les marais.

Écologie-Habitat

Un chef doit savoir peser le pour et le contre, et ses décisions sont sans appel

Un chef doit savoir peser le pour et le contre, et ses décisions sont sans appel © Roger Sargent Wildlife Photography

Essentiellement arboricole, il privilégie les cimes les plus élevées des gigantesques arbres qui peuplent la forêt vierge de Bornéo, en particulier dans les mangroves à proximité des cours d’eau, dans lesquelles il se réfugie au crépuscule pour dormir.

D’habitudes diurnes, il est principalement actif de la fin de l’après-midi jusqu’au soir.

Son régime alimentaire se compose principalement de feuilles et de fruits, y compris les moins mûrs, même si à l’occasion il peut manger des invertébrés, comme des chenilles et des larves d’insectes.

Excellent grimpeur et sauteur, c’est un singe particulièrement prudent qui au moindre signe de danger s’enfuit pour se réfugier dans les épaisses frondaisons de la cime des arbres, bondissant rapidement de branche en branche avec des sauts pouvant atteindre 8 m de longueur. Souvent, pour fuir, il se jette à l’eau.

Protégés par l’environnement complexe et difficile des mangroves, les nasiques préfèrent les milieux marécageux et proches des cours d’eau où ils se déplacent en toute sécurité en nageant habilement à la surface comme sous l’eau.

Des observations ont montré qu’ils peuvent plonger jusqu’à 20 m de profondeur et parcourir de longues distances en nageant. Malgré leurs gros ventres, les mâles aussi sont capables de nager sous l’eau sans difficulté.

Les nasiques comptent parmi leurs plus dangereux prédateurs la panthère et le crocodile d’eau douce qui les attaquent souvent quand ils s’immergent dans des plans d’eau ou des rivières ou encore lorsqu’ils se trouvent sur la rive.

Afin de réduire au maximum le danger que représente les prédateurs, ces singes changent souvent de lieu de repos, préférant l’extrémité des branches pendant au-dessus de l’eau.

Ce choix est motivé par le fait qu’ils sentent les vibrations que causent les prédateurs lorsqu’ils grimpent et ainsi, le Nasique a le temps de plonger dans l’eau et de s’échapper en portant son petit accroché à son abdomen.

Le Nasique aime les mangroves. Elles lui offrent nourriture et abri. En dormant sur les branches pendant au-dessus de l'eau, il peut en effet se jeter à l'eau et fuir en nageant

Le Nasique aime les mangroves. Elles lui offrent nourriture et abri. En dormant sur les branches pendant au-dessus de l’eau, il peut en effet se jeter à l’eau et fuir en nageant © Bernard Dupont

Ces comportements et certains autres, auxquels s’ajoutent des expressions faciales assez semblables à celles de l’homme révèlent que le Nasique est doté d’une bonne intelligence.

Il vit habituellement en groupes familiaux constitués d’un seul mâle et de 2 à 7 femelles adultes et des petits.

On peut aussi rencontrer des groupes composés uniquement d’individus de sexe masculin, rejetés par les femelles.

Ce mâle défend son territoire en montrant les dents et son spectaculaire nez de hollandais, comme disent les populations locales, se moquant aussi de ses caleçons blancs

Ce mâle défend son territoire en montrant les dents et son spectaculaire nez de hollandais, comme disent les populations locales, se moquant aussi de ses caleçons blancs © Bernard Dupont

Éthologie-Biologie Reproductive

La période de reproduction du Nasique s’étend du début du printemps jusqu’à la fin de l’automne.

À ce sujet, certains chercheurs ont relevé une corrélation significative entre la taille du nez des mâles et celle des testicules et du corps en général, aspects qui confèrent un attrait physique remarqué par les femelles, augmentant les chances de trouver un partenaire.

Le moins attrayant se retire et cherche un autre endroit. Peut-être est-ce un mâle dominant vieillissant © Bernard Dupont

Le moins attrayant se retire et cherche un autre endroit. Peut-être est-ce un mâle dominant vieillissant © Bernard Dupont

Ces observations suggèrent l’existence d’une relation entre la taille du nez et certaines capacités sexuelles et de reproduction.

En plus du nez-trompe, les mâles Nasique se distinguent aussi par d’autres particularités comme les vocalises puissantes qu’ils émettent et les manifestations liées à la performance physique et à la compétitivité qui leur permettent de gagner un rang social élevé au sein du groupe.

Cela peut entraîner une certaine monopolisation des femelles par quelques mâles et la formation de colonies composées uniquement de mâles moins attirants pour les femelles.

Les petits, eux, sont aimés par tout le groupe. Celui-ci est très jeune, ce qui se voit à sa face encore noire

Les petits, eux, sont aimés par tout le groupe. Celui-ci est très jeune, ce qui se voit à sa face encore noire © Sergey Pisarevskiy

Pendant la parade nuptiale, les mâles cherchent à attirer l’attention des femelles en exécutant des épreuves de force et d’agilité, en s’aidant de vocalises caractéristiques, amplifiées par le caractéristique nez pendant. Ils sautent dans le feuillage et sur les branches sèches, cherchant à donner une image de puissance.

Après une gestation de 160 jours environ, de préférence durant la nuit ou le matin, les femelles mettent d’ordinaire au monde un seul petit dont le nez est petit, la face bleu foncé et la fourrure noire.

Aussitôt après l’accouchement, la femelle mange son propre placenta. Cette pratique (placentophagie) est répandue chez une bonne partie des mammifères, y compris l’homme, mais on ne sait pas précisément sa signification biologique.

Si la maman n'est pas là, il peut s'accrocher à son père qui l'emporte rapidement loin du danger

Si la maman n’est pas là, il peut s’accrocher à son père qui l’emporte rapidement loin du danger © Peter Gosling

Il est certain que le placenta est particulièrement riche en nutriments, en tant qu’organe commun entre la mère et le fœtus destiné à sa protection et à sa nutrition au cours de son développement fœtal; on sait aussi que le placenta contient des hormones, telles que l’ocytocine et la prostaglandine, qui ont une action fondamentale lors de l’accouchement et des soins apportés ensuite au nouveau-né.

Cela explique les nombreuses hypothèses existant sur les raisons, probablement toutes valables mais à des degrés divers, qui incitent la mère à manger son propre placenta après l’accouchement: pour éliminer une trace facilement détectable par les prédateurs pour lesquels le nouveau-né serait une proie facile, pour passer au petit, par l’allaitement, le contenu énergétique élevé de cet organe et aussi parce que le placenta contient des substances qui soulagent la douleur de l’accouchement et qui incitent la mère et son petit à établir une relation étroite.

Celui-ci, près de sa mère est plus grand, son coloris est déjà semblable à celui des adultes

Celui-ci, près de sa mère est plus grand, son coloris est déjà semblable à celui des adultes © Sergey Pisarevskiy

Au fur et à mesure de la croissance, le nez des petits se développe de façon différente chez les mâles et les femelles alors que la face et la fourrure prennent les couleurs typiques des adultes.

À la naissance, le petit est sans défenses et sa mère le porte jusqu’à ce qu’il soit capable de marcher seul. Elle l’allaite jusque vers 7 mois et s’occupe de sa propreté par le toilettage. Le père contribue aussi aux soins apportés au petit et le porte parfois, accroché à son abdomen.

Le petit est sevré à un an environ et les autres membres du groupe peuvent s’en occuper aussi. Le juvénile reste avec sa mère tant que celle-ci n’a pas un autre petit ou jusqu’à ce qu’il ait un an.

Ici pourtant, il a l'air moins insouciant… peut-être qu'à un certain âge même les petits nasiques doivent aller à l'école

Ici pourtant, il a l’air moins insouciant… peut-être qu’à un certain âge même les petits nasiques doivent aller à l’école © ChieRong Chai

La maturité sexuelle des jeunes est atteinte entre quatre et cinq ans et les femelles sont déjà en mesure de se reproduire à 5 ans. Par le passé, l’espèce comptait des populations importantes mais celles-ci sont aujourd’hui grandement réduites.

L’homme a largement contribué à réduire la population totale de cette espèce, actuellement constituée de quelques milliers d’individus, et à mettre grandement en danger sa survie, la soumettant à une chasse acharnée afin d’en manger la viande, particulièrement appréciée, ainsi que pour tirer de son appareil digestif le bézoard, un amas de concrétions de matières indigestes ou non comestibles mais considéré par la médecine orientale et médiévale comme un antidote efficace à n’importe quel poison ainsi qu’une puissante amulette contre le mal.

À la fin de ses études, il a appris à crier. Celui-ci a peut-être vu un homme, son pire ennemi, qui avec la panthère et le crocodile le mène à l'extinction

À la fin de ses études, il a appris à crier. Celui-ci a peut-être vu un homme, son pire ennemi, qui avec la panthère et le crocodile le mène à l’extinction © Joseph Kiesecker

Autrefois, ces bézoards étaient portés par les rois et les reines comme amulettes ou broyés et utilisés comme médicaments. Souvent, on les mettait dans une coupe, au cas ou celle-ci aurait contenu de l’arsenic, dans l’espoir que le poison puisse ainsi être neutralisé.

Plus récemment, le Nasique, surtout à la suite de l’intensification de l’activité anthropique, a vu son habitat se réduire drastiquement du fait de la déforestation et de la pratique de la mariculture des crevettes. Il est actuellement en grand danger d’extinction.

Synonymes

Nasalis capistratus (Kerr, 1792); Nasalis nasica (Lacépède, 1799); Nasalis recurvus (Vigors & Horsfield, 1828)

 

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