Famille : Paradisaeidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Il y a quelques années David Attenborough présenta au grand public un documentaire qui fit grande impression par les prises de vues exceptionnelles qu’il montrait mais encore plus par son extraordinaire sujet qui jusqu’alors n’avait jamais été observé aussi intimement dans sa vie quotidienne.
Le programme portait un titre plus qu’enthousiasmant, “Attenborough au Paradis” et dans ce titre transparaissait déjà la beauté des sujets présentés, les tant célébrés “oiseaux de Paradis”.
Présenté comme programme informatif, ce documentaire fait désormais figure, auprès des naturalistes, de base fondamentale pour comprendre et étudier ces oiseaux si craintifs, discrets et peu connus.
Au XIXème siècle, Alfred Russel Wallace grand chercheur et connaisseur de “ces parties” encore méconnues de la planète, étudiant ces oiseaux affirma un concept demeuré valide dans le temps qui disait en substance que… les êtres vivants de la création sont si beaux qu’ils ne peuvent avoir été créés pour nous les hommes !
Les premières peaux séchées de ces oiseaux furent ramenées en Europe au XVIème siècle sur les navires commerçants néerlandais, avec les épices acquises dans les lointaines Moluques mais ces spécimens provenaient de terres encore plus lointaines et il semble que personne à cette époque n’avait eu la possibilité de les observer dans la nature.
Ces spécimens n’avaient ni ailes ni pattes puisque les indigènes, avant de les commercialiser, coupaient et traitaient ces appendices afin d’en orner leurs splendides costumes si créatifs.
C’est ainsi que ceux qui eurent la possibilité de les étudier, se trouvèrent face à des oiseaux apodes et aptères, caractéristiques qui alimentèrent la croyance, mentionnée par les indigènes et répétée par les commerçants, que ces oiseaux vivaient au Paradis, toujours suspendus dans l’air, sans jamais toucher le sol sauf quand ils mouraient et ce n’est qu’à ce moment qu’ils étaient récupérés par les hommes.
Ils furent donc classifiés comme oiseaux paradisiaques et privés de pattes. Le Paradisier grand-émeraude (Paradisaea apoda) porte toujours dans son nom scientifique le résultat de cette première classification. C’est un italien, mû par un tout autre intérêt et témoin oculaire de cette rencontre, qui rapporta pour la première fois une description complète de cet oiseau en Europe, donnant une explication plus terre à terre à cette histoire imaginaire.
Ce fut le natif de Vicence Antonio Pigafetta qui rapporta des nouvelles qui dissipèrent ces fantastiques interprétations.
Chroniqueur de bord de la première mission de navigation autour du monde, menée par l’intrépide Magellan, et survivant de cette terrible expérience maritime, bien que blessé lors de la bataille contre le roi Lapu Lapu aux Philippines où il vit succomber son commandant, et quelques uns de ses compagnons.
Dans son journal il décrit les trois années émaillées de terribles aventures, de maladies, de désastres et enfin la mort du commandant de la mission, mais en bon chroniqueur il rapporte avoir eu la possibilité de voir ces oiseaux provenant du Paradis terrestre où ils vivaient en grand nombre sous la forme de nombreuses espèces. C’était en 1521 mais le journal ne fut retrouvé et lu qu’à la fin du XVIIIème siècle.
Le Paradisier petit-émeraude (Paradisaea minor Shaw, 1809) appartient à l’ordre Passeriformes et à la famille Paradisaeidae qui regroupe en une quinzaine de genres et 42 espèces, tout le grand groupe de ces magnifiques oiseaux.
Dans cette famille également une profonde reclassification taxonomique est en cours, qui mènera sûrement à des révélations et des modifications certes pas inattendues.
L’étymologie du genre Paradisaea est curieuse. Elle dérive du grec “paradeisos” mais est elle-même une mutation de l’ancien persan “pairi-daeza” qui indique le jardin clos de murs, lieu de plaisir des rois persans.
Le nom d’espèce vient du latin “minor” = réduit, pour le différencier de son congénère apode, très semblable mais de plus grande taille.
Même l’ancien nom donné en Europe à tous ces oiseaux, Manucodia/Manucodiata, dénomination encore utilisée aujourd’hui pour un genre seulement habitant la péninsule du cap York en Australie, avait une origine céleste. En fait il s’agissait là du fruit d’une mauvaise transcription de l’ancienne langue javanaise de l’appellation “manuk dewata” qui signifiait “oiseaux des Dieux”.
Dans le monde occidental on garde ce concept réaffirmé avec le nom scientifique: Lesser Bird of paradise en anglais, Kleiner Paradiesvogel en allemand, Ave del paraíso Esmeralda Chica en espagnol, Paradisea minore en italien et Ave do paraíso pequena en portugais .
Zoogéographie
L’aire occupée par cet oiseau est restreinte à quelques îles des Moluques indonésiennes et à la Nouvelle-Guinée, aussi bien dans la partie indonésienne d’Irian Jaya qu’en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Ce n’est que marginalement que certaines espèces vivent dans le Queensland en Australie. Le Paradisier petit-émeraude habite la partie nord de la Nouvelle-Guinée ainsi que les îles Misool et Yapen. Un territoire densément couvert de forêts souvent impénétrables qui ont conservé jalousement jusqu’à nos jours de nombreux secrets. C’est un oiseau sédentaire.
Ecologie Habitat
Il passe sa vie confiné dans les forêts denses et humides de la façade équatoriale, parsemées de marais et de hauts arbres, avec un épais sous bois impénétrable.
C’est un oiseau typiquement arboricole qui ne descend que rarement à terre et qui passe pratiquement toute sa vie caché dans le feuillage de la canopée, solitaire et le plus souvent silencieux, passant souvent inaperçu malgré les couleurs scintillantes de sa livrée.
Là-haut, il trouve les fruits dont il se nourrit ainsi que les insectes et les petits vertébrés qu’il ajoute parfois à son régime alimentaire.
La recherche du partenaire et la parade nuptiale ont lieu dans les frondes au contraire d’autres espèces qui profitent, pour attirer une compagne, des lek (zones de parade), espaces communs d’exhibition et de combat placés au sol.
Peut-être son style de vie si éloigné du sol, ses apparitions fugaces quand on le cherche dans les hautes cimes des arbres et l’émerveillement causé par la vue de ses plumes vaporeuses et si légères ont-ils suggéré son nom.
Morpho-physiologie
Bien que difficile à découvrir caché dans le feuillage de la voute des arbres, le Paradisier petit-émeraude montre une belle taille, dépassant les 30 cm de long pour 300 g et une envergure d’environ 60 cm.
Tous les paradisiers montrent un important dimorphisme sexuel jusqu’à faire penser, si l’on compare les deux sexes, qu’il s’agit là de deux espèces d’oiseaux différentes.
Alors que le coloris de la femelle est blanc et peu attrayant, la livrée du mâle est un véritable feu d’artifice de couleurs et de formes. Le manteau de la femelle est marron, sa tête noire et sa poitrine entièrement blanc grisâtre. Son cou montre une légère nuance jaunâtre et sa gorge un reflet vert-bleuâtre. Son bec et ses pattes sont bleutés. Son œil est blanc-jaunâtre brillant.
En revanche le mâle est une véritable palette de couleur : tête et nuque jaune citron vif, gorge vert émeraude brillant, poitrine et ventre couleur noisette-brique plus ou moins accentué. Les couvertures des ailes et la queue sont couleur noisette avec des nuances jaunâtres sur les épaules, le bec et les pattes sont bleutés.
A tout cela s’ajoute une cascade de longues et vaporeuses plumes jaune citron à la base devenant ensuite blanc pur, fruit de l’allongement disproportionné des plumes des couvertures des flancs qui doublent la longueur de la queue. De celle-ci partent deux très longues et très fines plumes filiformes, marron foncé, vaporeuses et presque invisibles qui se perdent au milieu de toutes ces couleurs.
Les yeux sont d’un jaune très brillant. La maturité est atteinte lors de la deuxième ou troisième année. Sans aucun doute, le qualificatif d’oiseau de Paradis est justement mérité.
Éthologie-Biologie reproductive
Ce paradisier profite lui aussi de zones de parade pour s’exhiber et conquérir une femelle. Plutôt qu’un lek, habituellement situé au sol, il utilise à cette fin des branches situées à des hauteurs plus ou moins élevées sur lesquelles il effectue ses danses, sautillant de branche en branche, se suspendant parfois pattes en l’air, laissant pendre vers le bas ses plumes vaporeuses. Dans cette position, on a l’impression de voir un étrange abat-jour, soyeux et coloré, gonflé d’une façon qui ne permet plus de distinguer la forme d’un oiseau.
La parade nuptiale sert à exciter et enthousiasmer les femelles qui accourent pour se poser sur des branches voisines afin de juger et de s’offrir au meilleur des mâles exhibitionniste présent dans l’arène. Petits sauts, cris rauques, battements d’ailes, tremblements du corps, une véritable frénésie amoureuse qui attire irrémédiablement les femelles présentes. L’accouplement est très bref comme l’est la relation avec le père. L’accouplement terminé les femelles retournent aussitôt dans l’épaisseur de la forêt et dès lors ils n’ont plus aucun contact.
Le mâle est polygame et peut s’accoupler avec plusieurs femelles. Il n’y a pas une saison spécifique pour la nidification puisque l’on peut assister à des accouplements à tous moments de l’année. Le nid est bâti par la femelle sur les branches hautes d’un arbres, caché parmi les frondaisons, et elle y pond en moyenne deux œufs rosés (d’un à trois) qu’elle couve durant environ trois semaines. Les oisillons resteront au nid pendant quatre semaines avant de s’éloigner d’abord sur des branches proches et ensuite prendre leur envol. Les juvéniles resteront avec leur mère quelque temps encore formant des petits groupes familiaux jusqu’à la prochaine période de reproduction. Des cas d’hybridation ont été relevés, que ce soit à l’intérieur ou en dehors du même genre. Des individus précédemment classés comme espèce à part ont été, à la suite d’études génétiques plus poussées, classifiés comme hybrides inter espèces.
Dans le passé, cet oiseau a été l’objet de fortes persécutions afin de prélever ses précieuses plumes utilisées par la mode occidentale. Les indigènes locaux l’ont de tous temps chassé pour le même motif. Aujourd’hui cette coutume est toujours maintenue et autorisée par la loi en faveur de la protection de ces oiseaux. En Iran Jaya et en Papouasie Nouvelle-Guinée porter sur son couvre-chef les plumes de cet oiseau est pour les indigènes un motif de fierté et d’honneur et ils ne manquent pas de les exhiber à chaque occasion sociale ainsi qu’aux fêtes. A tel point que cet oiseau est représenté sur le drapeau de la Papouasie Nouvelle-Guinée. L’espèce n’est pas considérée comme espèce à risque.
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