Phoenicopterus ruber

Famille : Phoenicopteridae

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Texte © Dr. Gianfranco Colombo

 


Traduction en français par Virginie Thiriaud

 

Phoenicopterus ruber, Phoenicopteridae, Flamant rouge

Sur les 6 espèces de flamants existantes, Phoenicopterus ruber est l’une des 4 vivant en Amérique © Giuseppe Mazza

Pour décrire le flamboyant Flamant des Caraïbes ou Flamant rouge (Phoenicopterus ruber Linnaeus 1758), il suffirait simplement de réécrire ce qui a déjà été indiqué pour son jumeau, le grand Flamant rose (Phoenicopterus roseus) car il y a encore peu de temps, le flamant des Caraïbes était classé comme une sous-espèce de l’autre, ou inversement selon certains auteurs.

Divers caractères morphologiques, en particulier la couleur de la livrée, ainsi que la nette séparation entre les deux territoires occupés par ces oiseaux, pouvaient conduire à la certitude que, tôt ou tard, ils auraient été classifiés comme deux espèces distinctes.

D’autre part, le nom scientifique originel de Phoenicopterus ruber, donné par Linné au XVIIIème siècle, était particulièrement approprié pour cette nouvelle espèce puisqu’il identifie la couleur rouge très évidente.

Lorsqu’il a été suggéré de reclassifier les deux espèces obtenues suite à la subdivision de la super-espèce Phoenicopterus ruber, nous pouvons bien comprendre pourquoi il a été décidé de conserver le nom originel de “ruber” pour le flamant des Caraïbes et d’attribuer le nom “roseus” au flamant rose. En effet, ces épithètes représentent au mieux les couleurs de chacune des espèces.

Cependant, encore aujourd’hui, la nouvelle classification n’est pas toujours partagée et souvent la littérature fait référence à Phoenicopterus ruber ruber pour le flamant des Caraïbes et à Phoenicopterus ruber roseus pour le flamant rose.

Le flamant des Caraïbes est l’un des plus présents dans les zoos et les jardins naturalistes en raison de sa couleur éblouissante, conservée grâce à une alimentation riche en carotène et autres colorants. Sans ces complémentations, les individus captifs perdraient leur belle couleur en peu de temps, en raison du manque de leur nourriture naturelle.

En outre, il fait preuve d’une docilité remarquable, acceptant bien volontiers l’environnement artificiel créé ad hoc, qui le conduit sans aucune difficulté à se reproduire également en captivité.

L’étymologie du binôme scientifique est expressément basée sur la couleur spectaculaire de cet oiseau. Phoenicopterus vient du grec “phoinix” = rouge, carmin et “pteron” = aile. Le nom d’espèce vient du latin “ruber” = rouge en raison de la coloration de sa livrée.

Quelques noms communs donnés en Europe : en anglais Caribbean flamingo, en allemand Kubaflamingo, en espagnol Flamenco rojo, en italien Fenicottero rosso, en néerlandais Caribische Flamingo et en portugais Flamingo. Il convient de noter que dans le nom commun donné dans plusieurs pays, l’origine de ce flamant était déjà explicitement indiquée, faisant une distinction claire, au moins du point de vue géographique, avec le flamant rose.

Phoenicopterus ruber, Phoenicopteridae, Flamant rouge

Il occupe une zone allant du sud des États-Unis aux côtes nord du Brésil et jusqu’aux lointaines îles Galapagos © Giuseppe Mazza

Zoogéographie

Le flamant des Caraïbes est typiquement américain, occupant une zone allant du sud des États-Unis aux côtes nord du Brésil et jusqu’aux lointaines îles Galapagos. Il est bien diffusé dans la partie centrale du continent, d’où les différents noms vernaculaires qui font référence à la zone des Caraïbes. Sa présence diminue progressivement tant au nord, où il devient très occasionnel aux États-Unis, qu’au sud, où la limite de son aire de répartition atteint les côtes caribéennes de la Guyane et du Brésil.

Phoenicopterus ruber, Phoenicopteridae, Flamant rouge

Le va-et-vient de la langue et les lamelles spéciales au bord du bec permettent au Phoenicopterus ruber de filtrer des milliers de litres d’eau par jour © Giuseppe Mazza

Dans le sud du continent américain, il est remplacé par son congénère, le flamant du Chili (Phoenicopterus chilensis) qui atteint l’extrême sud de la Patagonie. Dans les Andes, on trouve deux espèces assez localisées dont les territoires se chevauchent, le flamant des Andes (Phoenicoparrus andinus) et le flamant de James (Phoenicoparrus jamesi). Le continent américain comprend quatre des six espèces de flamants présents sur la planète.

Le flamant des Caraïbes est un oiseau typiquement sédentaire, bien qu’il ne montre pas d’attachement particulier à des zones singulières comme en témoigne en revanche son congénère africain. C’est-à-dire que les flamants des Caraïbes nicheront souvent dans des sites assez éloignés de l’endroit où ils sont nés.

Ecologie-Habitat

Comme tous les flamants, Phoenicopterus ruber vit dans des marais salants, des lacs alcalins, des bassins pour l’extraction du sel marin mais ne dédaigne pas les embouchures de rivières, les lacs côtiers d’eau saumâtre et les lieux temporairement inondés.

Lui aussi se nourrit de micro-crustacés comme l’Artemia salina, de larves telles que Chironomus sp. ou de cyanobactéries comme Arthrospira, Oscillatoria, Lyngbya et Navicula qui vivent dans ces environnements hautement spécifiques.

La nourriture est capturée en filtrant l’eau à l’aide de son bec particulièrement spécialisé pour cette activité.

En tournant la tête à l’envers et en immergeant la partie supérieure du bec juste sous la surface de l’eau, celle-ci est convulsivement aspirée et, en même temps, expulsée par le mouvement frénétique de la robuste langue qui fonctionne comme le piston d’une pompe hydraulique. Les micro-organismes sont retenus par de petits fanons qui bordent le bec et sont immédiatement ingérés sans même soulever la tête hors de l’eau. Une industrialisation de trois opérations simultanées, capacité acquise au fil des millénaires.

Morpho-physiologie

Comme nous l’avons dit, le flamant des Caraïbes a une livrée complètement teintée de rouge, en particulier pendant la période de nidification où cette nuance s’accentue ultérieurement. Il conserve cependant une grande partie de sa coloration pendant les autres périodes de l’année.

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Une formidable machine pour capturer les petits crustacés et les cyanobactéries qui permettent, outre la nutrition, la coloration intense du plumage © Giuseppe Mazza

Les pattes sont rougeâtres. Le bec, robuste et plié à 90° sur la moitié de sa longueur, est rose dans sa première partie, en particulier la mâchoire inférieure, et noir à son extrémité, en correspondance avec la courbure. Cette dernière partie est celle qui sera totalement submergée lors de la recherche d’aliments. Cette adaptation a conduit à avoir une mâchoire inférieure légèrement plus large que la mâchoire supérieure. Comme chez certains perroquets, la mâchoire supérieure est légèrement flexible et n’est pas fixée au crâne de manière rigide.

Compte tenu de la longueur du cou et de l’effort nécessaire pour le maintenir allongé, le flamant doit le recroqueviller au repos et placer son long bec entre les plumes de son dos. La seule façon de soulager les muscles de ce très long appendice.

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Lorsqu’il dort, en équilibre sur une jambe, le très long cou est replié en forme de “S” © Gianfranco Colombo

Les rémiges sont noires et ne sont visibles que lorsque leurs ailes sont déployées alors qu’elles restent presque invisibles lorsqu’il n’est pas en vol.

Cet oiseau a des dimensions remarquables, égales à celles de son congénère, le flamant rose. Il peut atteindre 150 cm de hauteur lorsqu’il se tient debout, pour un poids variant entre 2 et 4 kg et une envergure de 150 cm.

Il n’y a pas de dimorphisme sexuel si ce n’est dans les dimensions, puisque la femelle est légèrement plus petite que le mâle, et en ce qui concerne la précocité de la livrée nuptiale. En effet, la femelle “rougit” un peu avant le mâle.

Les juvéniles sont dépourvus de la coloration qu’ils prendront une fois arrivés à maturité, en moyenne vers l’âge de 4 ans, même si la femelle est là aussi plus précoce.

Éthologie-Biologie reproductive

Le flamant des Caraïbes n’a pas de saison de nidification fixe. Il peut choisir la saison des pluies ou bien la saison sèche, et cela change aussi en fonction de la latitude où il vit. Cependant, il niche avec une fréquence annuelle.

Le flamant est un oiseau tellement social qu’il passe toute son existence en compagnie de ses semblables. Il le fait déjà en dehors de la saison de reproduction, mais plus encore à l’approche de la période de la parade nuptiale et de la préparation du nid, lorsque la colonie resserre ses rangs. Quand tous les individus se rassemblent dans d’immenses colonies, ils sont si proches les uns des autres qu’ils se trouvent pratiquement à portée de bec.

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Les nids, les uns à côté des autres, sont des cônes de boue et paille. 1-2 œufs blancs y sont pondus © Giuseppe Mazza

La parade nuptiale se fait également en groupe. Les mâles exécutent des danses organisées, durant lesquelles ils se coordonnent parfaitement entre eux, présentant des attitudes extrêmement douces et élégantes mettant en valeur leur très long cou. Ils maintiennent ce dernier bien droit, tout en marchant à l’unisson dans les eaux peu profondes et en agitant les ailes pour montrer les couleurs vives de leur livrée. Les femelles réagissent de la même manière, de sorte que dans cette confusion générale, il est impossible de différencier les courtisans des courtisées.

Le flamant des Caraïbes est monogame et forme des couples stables pendant la nidification, même si la femelle change généralement de partenaire à chaque saison.

Le nid a la forme d’un cône tronqué et peut atteindre une hauteur de 20 cm. A son sommet se trouve un petit creux dans lequel seront pondus 1 à 2 œufs blancs.

Les deux partenaires contribuent à la construction de cet étrange nid en apportant de la boue et des petits morceaux de végétaux collectés tout autour. Le nid ne sera prêt à être utilisé que lorsque le matériel sera desséché. Dans la colonie, les nids sont très proches les uns des autres et ne sont parfois distants que de 50 cm.

Les jeunes naissent après 30 jours environ et sont recouverts d’un épais duvet blanchâtre qu’ils revêtiront jusqu’à leur première mue, lors de l’apparition des premières vraies plumes.

Pendant les premières semaines, les oisillons sont nourris avec un liquide rougeâtre, très nutritif que les parents leur régurgitent directement dans la gorge et qui ressemble beaucoup au “lait de pigeon”. D’une certaine manière, il ressemble plus au lait humain puisqu’il contient de la prolactine, une hormone produite par la femme. Pour devenir autonomes, ils devront apprendre au plus tôt la technique de filtration de l’eau, ce qui se fait au bout de plusieurs semaines.

Ils parviennent presque immédiatement à gambader hors du nid et, après quelques jours, à atteindre la crèche qui se rassemble à l’intérieur de la colonie au fur et à mesure de la croissance des poussins. En effet, tous les jeunes sont gardés dans une zone protégée, au centre de la colonie, afin de les mettre à l’abri d’éventuels agresseurs.

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Les jeunes s’envolent à 3 mois mais restent généralement dans la colonie toute leur vie © Giuseppe Mazza

Il est incroyable qu’un couple puisse trouver ses petits à l’intérieur d’un tel chaos. Sans l’imprinting initial de la reconnaissance de la voix des parents, le poussin n’a aucune chance de survie. Les jeunes prendront leur envol après environ 13 semaines et resteront presque certainement dans la colonie pour toute leur vie.

Le flamant des Caraïbes a une très longue durée de vie et peut atteindre 30 ans dans la nature. L’espèce n’est donc pas potentiellement menacée. Même les prédateurs ne sont pas nombreux : aigles, grands oiseaux, rapaces en général, et certains mustélidés ne déciment certainement pas leur nombre. Au contraire, le risque de transmission d’épidémies est plutôt élevé, compte tenu de la promiscuité considérable. La grippe aviaire et la tuberculose, notamment, peuvent rapidement décimer des populations entières.

Il a été constaté que les flamants les plus colorés trouvent plus rapidement que les autres leur partenaire de nidification. Une couleur terne, en plus d’indiquer l’immaturité, est un indice de malnutrition ou de maladie, de sorte que dans l’évolution génétique ou mieux encore, dans la dure loi de la jungle, le sujet est radicalement mis de côté, voire même rejeté de la colonie.

On pourrait dire que c’est l’effet de la vanité, mais en réalité la nature suit son cours inexorable.

Synonymes

Phoenicopterus roseus Pallas, 1811 ; Phoenicopterus ruber roseus Linnaeus, 1758.