Anas clypeata

Famille : Anatidae

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Texte © Dr. Gianfranco Colombo

 

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Traduction en français par Catherine Collin

 

Anas clypeata, Anatidae, Canard Souchet

Répandu en Europe, le Canard Souchet (Anas clypeata) a une excellente aptitude au vol © Gianfranco Colombo

Le Canard Souchet (Anas clypeata Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre Anseriformes et à la famille Anatidae et, grâce aux splendides couleurs de sa livrée, est l’un des plus beaux canards du paléarctique.

Déjà, dans ce large groupe on rencontre des plumages comptant parmi les plus éclatants du monde aviaire, proposant une variété de couleurs parfois impensable, des combinaisons et des contrastes composant de véritables palettes volantes.

Le mâle est le seul à montrer cette livrée, essentiellement en période nuptiale et durant la nidification. C’est le moyen donné à ces oiseaux par Dame Nature pour conquérir une femelle, par le biais d’une lutte continue entre les concurrents, qui passe par la mise en avant de ces splendides livrées, et qui amènera la femelle à choisir un partenaire pour la reproduction.

Le Souchet n’a rien à envier aux autres canards mais il présente deux handicaps importants pour prétendre à être classé parmi les plus beaux. Ces défauts, observés avec l’œil d’un esthète, peuvent sembler rédhibitoires et rétrograder ce très beau canard vers une position plus basse et imméritée.

En premier lieu ses pattes très courtes, sûrement anormales au regard de sa taille et comparées à celles de ses congénères, qui l’obligent à adopter, quand il est à terre, une démarche désunie et vacillante, vraiment chaloupée et qui nous fait douter de son équilibre.

On utilise le terme marcher comme un canard pour désigner la démarche chaloupée de ces oiseaux mais dans le cas du Souchet cela devient vraiment ridicule. Lorsqu’on le voit s’avancer, on a l’impression que l’oiseau est blessé à une patte ou même qu’il est incapable de marcher.

Et puis, il y a cet appendice dont la nature l’a doté et dont il tire son nom scientifique ainsi que son nom vulgaire et qui, tellement hors de proportions, va jusqu’à déformer la morphologie de sa face en l’obligeant à tenir sa tête penchée vers le bas comme s’il voulait cacher cette chose, ou peut-être à cause du poids de celle-ci, ou même pour disposer d’une plus large vision frontale, partiellement occultée par cet obstacle encombrant.

Son bec, puisque c’est cela dont il s’agit, est quelque chose d’inhabituel, tellement gros, large, long et déformé que l’on imagine aisément que quelqu’un a collé cet engin, inadapté à la taille de ce canard si élégant quand il vole ou barbotte sur l’eau, sur sa face pour lui faire une blague. Déjà Linné en avait décrit l’énormité déclarant “ Anas rostri extremo dilatato rotundato ungue incurvo”. Les Anglo-Saxons, passés maîtres dans l’art de donner des noms familiers et folkloriques à tous les oiseaux, l’ont baptisé “Shoveler” = pelleteur et cette définition suffit à elle seule pour décrire cet oiseau.

Partout dans le monde où ce canard est connu, aussi bien dans les dialectes locaux que pour les noms communs donnés officiellement, on fait référence à ce bec hors norme. En italien, à côté de son nom commun, Mestolone, dérivé de mestola (louche), on trouve des noms locaux très caractéristiques, ayant tous le même sens comme palettone, beccone, cucciaron, paloton, paleta, mestola. Les Anglo-Saxons, particulièrement les américains, ne font pas dans la dentelle pour l’affubler de noms étranges, basés sur la sympathie que ce gros bec inspire : Bootlip, Spoonbill, Grinner, Smiling Mallard et Hollywood Mallard.

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Gauche lorsqu’il marche sur terre, il a un bec vraiment inhabituel et tellement gros, long, large et déformé que l’on pense que c’est une blague © Gianfranco Colombo

En ce qui concerne ces deux derniers surnoms, quant à savoir qui les a inventés et leur véritable signification, le mystère demeure.

Certains assurent que le Souchet est un Colvert avec un sourire collé sur la face, d’autres que c’est un canard qui se met toujours en avant comme le font les stars d’Hollywood, d’autres encore, exagérant quelque peu sur l’usage inconsidéré du lifting, que son bec est le résultat d’une utilisation abusive du Botox, comme on peut le voir chez certaines actrices tentant d’améliorer leur aspect, avec parfois des résultats incertains. De toute façon le Souchet ne s’offenserait sûrement pas de cette fantaisie humaine qui s’amuse de son aspect pas tout à fait… normal.

L’étymologie du binôme scientifique reprend elle aussi cette particularité: le nom d’espèce, qui dérive du latin, reprend cette caractéristique, clypeata de “clypeatus” = qui porte un bouclier, alors que le nom de genre Anas reprend le terme latin pour canard.

En Europe on le nomme : en anglais Northern Shoveler, en allemand Löffelente, en espagnol Cucharan Común, en italien Mestolone et en portugais Pato trombeteiro.

Le Canard Souchet fait partie des canards de surface, le groupe comprenant des oiseaux qui ne s’immergent pas entièrement dans l’eau pour rechercher leur nourriture mais flottent en surface, plongeant leur tête et leur cou à la limite du possible afin d’atteindre le fond. Il est donc bien visible lorsqu’il est sur l’eau, le mâle montrant clairement sa livrée qui permet de le distinguer aisément, même lorsqu’il est mêlé à d’autres espèces, au contraire de la femelle, qui comme nous le verrons, présente une livrée très mimétique.

Anas clypeata, Anatidae, Canard Souchet

La femelle montre une couleur d’ensemble assez modeste, comme c’est la norme dans le monde des oiseaux, le bec, en dehors de sa taille vraiment exagérée, ne faisant pas exception. On y remarque ici les barbillons rigides, très similaires aux fanons d’un cétacé, au travers desquels l’eau est filtrée lors de la recherche de nourriture. Le régime alimentaire du Canard Souchet se compose d’herbes lacustres, de racines et de graines mais surtout de plancton, microfaune aquatique, petits insectes et mollusques © Gianfranco Colombo

Zoogéographie

Le Canard Souchet est principalement un migrateur à longue distance mais en ce qui concerne les populations européennes elles sont plutôt migratrices à courte distance et peuvent même être sédentaires, occupant des aires présentant des conditions hivernales suffisamment douces.

Il a une grande aptitude au vol et il ne montre aucune difficulté à se déplacer très rapidement, y compris durant l’hiver, pour rejoindre des lieux plus confortables, évitant ainsi la dégradation imprévue des conditions météorologiques locales.

En Europe, il occupe toute la partie Centre-Nord du continent, atteignant l’Islande mais évitant une grande partie de la Scandinavie au-dessus du 60ème parallèle, même si on le retrouve beaucoup plus au Nord dans toute la Russie et la Sibérie.

Il ne niche pas dans l’aire méditerranéenne sauf accidentellement et se trouve donc absent de la péninsule ibérique, d’Italie, de Grèce et du Proche-Orient ainsi que de toute l’Afrique du Nord saharienne, lieux qu’il fréquente partiellement durant l’hiver. Dans ces aires confluent aussi une partie des populations d’Europe de l’Est jusqu’à l’Oural qui abandonnent régulièrement leur territoire de nidification sur la route de migrations qui les porteront en Afrique subsaharienne orientale, en particulier sur les lacs de la Vallée du Rift.

En Asie, le Souchet est présent sur toute la bande continentale située au nord de la grande steppe d’Asie centrale, jusqu’à atteindre à l’Est les côtes de l’Océan Pacifique et au Nord une partie de la toundra. Ces populations hivernent à l’Extrême Sud du continent asiatique. Dans le néarctique, il est présent en Alaska, au Canada et à l’ouest des Etats-Unis, l’hivernage ayant lieu en Amérique centrale et aux Caraïbes.

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En période de reproduction la livrée du mâle est à son apogée, le cou aux reflets changeant du vert au bleu, la poitrine immaculée, les flancs et l’abdomen noisette © Gianfranco Colombo

Contrairement au comportement social habituellement montré par les canards de surface, le Canard Souchet ne forme pas de grandes volées pour la migration mais uniquement pour les rassemblements qui précèdent le voyage vers les quartiers d’hiver.

Comme tous les canards, le Souchet a besoin de plans d’eau stagnante qui ne gèlent pas durant la mauvaise saison, et cette particularité détermine donc le choix du lieu d’hivernage.

Ecologie et Habitat

Le Canard Souchet passe pratiquement toute sa vie sur l’eau, ne venant sur terre que pour nicher et pour étirer ses courtes pattes même si pour se faire il préfère souvent rester dans l’eau basse, les pieds posés sur le fond.

Il est donc difficile de l’imaginer hors de ce milieu.

En période de nidification le Souchet occupe des prairies inondées, des marais ouverts présentant une végétation riparienne, des eaux peu profondes et dormantes, de vastes plans d’eau ouverts et entourés de landes herbeuses ou couverts d’une basse végétation pour qu’il y installe son nid.

Durant l’hiver, il occupe indifféremment des lieux semblables mais également des prairies inondées, les berges des fleuves et rivières, lacs et marais ainsi que tout milieu présentant des eaux libres. En Afrique subsaharienne ces canards se réunissent souvent, dans les semaines précédant la migration, sur les lacs d’eaux peu profondes en volées assez consistantes.

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Ici le mâle est résolument à l’abordage… mais la “danse du qua qua” ne fonctionne pas et la femelle s’envole © Gianfranco Colombo

Morpho-physiologie

Le mâle Souchet ne peut être confondu grâce aux couleurs très vives de sa livrée nuptiale qu’il garde pour toute la période nuptiale et durant la nidification, alors qu’en phase d’éclipse son plumage devient plus décoloré et ressemble à celui, plus terne, de la femelle. Sa tête est vert foncé brillant, changeant selon la réfraction de la lumière, la poitrine est très blanche alors que les flancs et l’abdomen sont couleur noisette. Les yeux sont jaunes et ressortent grandement sur la face sombre, à tel point qu’ils sont visibles de très loin, comme les pattes qui sont d’un bel orange vif.

En vol il montre des ailes avec des couvertures primaires d’une pâle nuance bleutée, un miroir alaire vert émeraude foncé et une bande blanche sur les couvertures secondaires.

La femelle est dans l’ensemble, comme il est habituel chez tous les canards, d’un coloris jaune-marron ambré tacheté sur tout le corps, avec des marques plus claires couleur crème. Ses ailes présentent aussi sur les couvertures l’éclat bleu-gris. Le miroir alaire est assez prononcé lorsqu’elle vole mais pas autant que celui du mâle.

Il est assez facile de remarquer chez les deux sexes l’énorme bec disproportionné dont on a déjà parlé. Le bec du Souchet a la forme d’une spatule qui s’élargit vers l’extrémité jusqu’à presque doubler sa largeur à la base et dont les lèvres se replient latéralement. Il est pourvu à la pointe d’un onglet en forme de griffe apposé comme un clou.

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“Mais que fais-tu? Réfléchis. Je suis le meilleur père des environs et je t’aiderai à soigner les petits” © Gianfranco Colombo

Les mandibules sont pourvues sur les bords de rigides barbillons, très semblables aux fanons d’un cétacé, au travers desquels il filtre l’eau lorsqu’il s’alimente.

Le Canard Souchet paraît presque de la même taille que le Colvert (Anas platyrhynchos), peut-être à cause de l’agencement des couleurs sur sa livrée qui accentue visuellement sa stature, même si son poids et son envergure sont nettement inférieurs. Il peut mesurer jusqu’à 50 cm de long, pour une envergure d’environ 80 cm et un poids de 800/1 000 g.

Il n’a pas été classifié de sous-espèce.

Biologie reproductive

Comme c’est le cas pour tous les canards migrateurs, les couples se forment sur les lieux d’hivernage et la migration a lieu conjointement au sein de petits groupes, avec lesquels le couple rejoindra probablement les mêmes lieux de nidification. Même pendant la migration ils gardent le comportement typique de couple, avec la défense mutuelle entre partenaires contre des contacts importuns avec d’autres congénères ainsi que la défense de l’aire occupée temporairement lors des haltes.

Le Souchet est un canard plutôt solitaire et discret et cette caractéristique est mise en évidence dès les premiers mouvements migratoires et s’accentue encore quand il arrive sur le lieu choisi pour la nidification. Il est assez silencieux et les contacts sonores entre partenaires se réduisent à un discret quak quak de la femelle et un léger touk touk de cour de la part du mâle.

Le nid est une plateforme placée sur une petite dépression du terrain, garni d’herbes sèches, de carex et de feuilles, adouci et doublé par le duvet perdu par la femelle durant l’incubation, un devoir qui revient à la femelle seule dans le monde des canards.

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Voici le nid : une plateforme placée sur une petite dépression du terrain, garnie d’herbes sèches, de carex, de feuilles et du plumage perdu par la femelle durant l’incubation, devoir dévolu à la femelle dans le monde des canards. Ce nid contient une dizaine d’œufs blanc-olivâtre puis crème ou verdâtre, qui éclosent au bout de trois semaines © Museo civico di Lentate sul Seveso

La femelle y pond une dizaine d’œufs blanc-olivâtre. Ces œufs deviennent durant l’incubation crème ou verdâtre. Ils éclosent après environ trois semaines d’incubation.

Les oisillons, qui naissent en l’espace de quelques heures, quittent aussitôt le nid pour rejoindre le plan d’eau le plus proche, guidés et protégés par les deux parents. Ils sont immédiatement capables de se nourrir seuls et atteignent l’indépendance totale au bout de 6-7 semaines. Ce canard peut vivre une dizaine d’années.

Le régime alimentaire du Souchet est basé sur des herbes lacustres, des racines et des graines mais surtout sur la microfaune aquatique, plancton, petits insectes et mollusques qu’il filtre à travers les soies placées sur les côtés de son bec après avoir aspiré et rejeté, comme une pompe hydraulique, la boue et l’eau du fond. C’est un infatigable filtreur des fonds et cette activité occupe une grande partie de sa journée.

Ce canard présente une caractéristique assez étrange: le bruit particulier qu’il émet au décollage. Un battement d’ailes très bruyant, brouillon et au départ peu efficace qui fait penser qu’il est blessé ou gêné par quelque infirmité ne lui permettant pas de prendre son essor correctement. Pourtant, quelques secondes suffisent pour qu’il démontre à quel point son vol est puissant et efficace.

Le Souchet est un canard qui a toujours été abondamment chassé dans l’hémisphère nord durant ses migrations saisonnières mais la population n’a pas subi de baisse importante, l’espèce n’est donc pas considérée comme étant en danger.

Synonyme

Spatula clypeata Linnaeus, 1758

 

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