Cryptolaemus montrouzieri

Famille : Coccinellidae


Texte © Prof. Santi Longo

 


Traduction en français par Jean-Marc Linder

 

Cryptolaemus montrouzieri est un coléoptère apparenté aux coccinelles, long d'un peu plus d'un demi-centimètre. Natif d'Australie, de Nouvelle-Zélande et d'Indonésie, on l’emploie en lutte biologique contre les cochenilles des agrumes. Son corps globulaire n'offre pas de prise aux fourmis, qui défendent ces dernières pour leur miellat

Cryptolaemus montrouzieri est un coléoptère apparenté aux coccinelles, long d’un peu plus d’un demi-centimètre. Natif d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Indonésie, on l’emploie en lutte biologique contre les cochenilles des agrumes. Son corps globulaire n’offre pas de prise aux fourmis, qui défendent ces dernières pour leur miellat © Gilles San Martin

La Coccinelle du papayer (Cryptolaemus montrouzieri Mulsant, 1850) est un coléoptère Coccinellidae de la tribu des Scimnini ou Coccinellini, dans laquelle figurent des espèces prédatrices de cochenilles et de pucerons.

Les larves se caractérisent par la présence, sur leur dos, de filaments cireux blancs qui les protègent des fourmis, défendant elles-mêmes les espèces productrices de miellat, proies des Scimnini.

Le nom du genre Cryptolaemus, dérivé du grec, est composé de “crypt”, caché, et de “laemus”  dérivé de “laimos”,  cou ou gorge, et signifie donc littéralement “au cou caché”.

La larve, plus vorace que les adultes, atteint deux centimètres. Elle se défend des attaques des fourmis en se camouflant parmi les cochenilles farineuses au moyen de longs flocons blancs sur son dos qui la font ressembler à sa proie

La larve, plus vorace que les adultes, atteint 2 cm. Elle se défend des attaques des fourmis en se camouflant parmi les cochenilles farineuses au moyen de longs flocons blancs sur son dos qui la font ressembler à sa proie © G. Mazza

L’épithète spécifique montrouzieri honore la mémoire du botaniste, explorateur, missionnaire et entomologiste français Xavier Montrouzier, auteur de l’Essai sur la faune entomologique de l’Ile Woodlark ou Moiou.

Zoogéographie

La Coccinelle du papayer, qui, avec six autres congénères, est originaire d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Indonésie, a été identifiée en 1888 dans le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud par Albert Koebele.

En tant qu’entomologiste pour le compte du gouvernement américain, il avait été envoyé en Australie par Riley pour rechercher des ennemis naturels efficaces contre la Cochenille australienne, Icerya purchasi, dommageable aux plantations d’agrumes californiennes et argentines.

Outre la Coccinelle du papayer, Koebele a identifié, au cours de la même mission, et introduit en Californie, d’autres espèces prédatrices de cochenilles.

En 1913, de graves pullulations de Pseudococcus calceolarie ont eu lieu dans de multiples plantations d’agrumes sud-californiennes.

Il est alors apparu que la Coccinelle du papayer pouvait lutter efficacement contre les infestations dans les zones où elle s’était acclimatée et où elle survivait à la période hivernale en s’attaquant à des hôtes alternatifs.

Compte tenu de son efficacité prédatrice, mais aussi de sa capacité d’acclimatation réduite, Cryptolaemus montrouzieri a été introduite, élevée et disséminée pour la lutte biologique contre les Pseudococcidae, les cochenilles farineuses, dans les principales régions mondiales productrices d’agrumes.

On l’a aussi employée contre les cochenilles sur l’araucaria, le café et les vignes, ou encore, en environnement protégé et dans les parcs, contre les pucerons.

Dans le bassin méditerranéen, elle est actuellement présente dans les plantations d’agrumes, les vignobles et les serres d’Afrique du Nord, d’Europe du Sud, de France, d’Espagne, de Turquie, de Grèce et d’Italie.

La pupe, longue de 6 mm, se forme à l'intérieur de la chrysalide du dernier stade larvaire et conserve les filaments cireux protecteurs

La pupe de 6 mm se forme dans la chrysalide du dernier stade larvaire et conserve les filaments cireux protecteurs © John and Kendra Abbott

Ce n’est que dans certains environnements que les conditions microclimatiques lui ont permis de s’acclimater ; par conséquent, dans ceux où elle ne peut survivre à l’hiver, on la relâche à la fin du printemps ou en été, quand les premières colonies de cochenilles sont détectées.

Écologie-Habitat

Cryptolaemus montrouzieri n’a pu s’acclimater qu’en certaines zones côtières californiennes ; entre 1916 et 1930, pour la lutte biologique sur agrumes dans les terres, on l’a par conséquent élevée dans 16 insectariums industriels spécialement construits, dont l’un était capable de produire annuellement 30 à 40 millions d’individus.

La Coccinelle du papayer a été introduite en Italie en 1908, par Silvestri, depuis les îles Hawaï et la Californie.

D’autres relâchers ont été effectués en 1935 en Calabre et en 1938 en Ligurie avec des spécimens provenant de la Côte d’Azur.

On l’élève depuis les années 1970 dans les laboratoires des universités de Naples, Portici, Palerme et Catane. De 2006 à 2020, un insectarium construit en Sicile a produit et distribué plus de 3 millions d’individus de ce prédateur dans les plantations d’agrumes et les vignobles de l’île, ainsi qu’en Calabre.

Morphophysiologie

Le corps de l’adulte mesure environ 5-6 mm et est recouvert d’un fin duvet.

Les adultes nés en insectariums y sont placés dans des récipients appropriés contenant des gouttelettes de miel, transférés au champ le plus rapidement possible en sacs isothermes, et relâchés sur les plantes infestées

Les adultes nés en insectariums y sont placés dans des récipients appropriés contenant des gouttelettes de miel, transférés au champ le plus rapidement possible en sacs isothermes, et relâchés sur les plantes infestées © Giuseppe Mazza

La tête et les antennes sont de couleur jaune-orange ; les yeux composés sont noirs.

Le premier segment du prothorax et la partie terminale des élytres ont la même teinte orange ; le reste du corps est uniformément brun foncé, presque noir.

Les ailes postérieures sont membraneuses et bien adaptées au vol. Au repos, elles sont repliées sous les élytres.

Les pattes antérieures des mâles sont jaunâtres. Chez les femelles, les fémurs et les pattes avant sont noires ou grisâtres.

L’abdomen est protégé par les robustes élytres. La forme des derniers segments chez les mâles est concave, alors que chez les femelles elle est convexe.

Cette caractéristique morphologique permet elle aussi de distinguer rapidement les sexes. Ceci est très important lorsqu’on emploie la Coccinelle du papayer pour la lutte biologique : il est nécessaire d’introduire dans la cultures des individus des deux sexes, mais avec une prédominance des femelles.

Avec leur corps déprimé, allongé et jaunâtre, les larves sont dites “campodéiformes” en raison de leur similitude avec les adultes des insectes primitifs du genre Campodea de la classe des Diplura.

Les pattes sont bien développées et confèrent une assez bonne mobilité pour la recherche et la traque des proies. La larve nouveau-née ne mesure guère plus de 1 mm ; la larve mature de quatrième stade mesure de 14 à 20 mm de long.

À l’arrière du corps se trouvent de nombreuses glandes qui sécrètent les longs filaments cireux irréguliers qui confèrent à la larve une certaine ressemblance avec sa proie favorite, le cottonmouth.

Ces dernières cochenilles, dommageables à de nombreuses plantes cultivées, produisent des excréments liquides riches en sucre appelés miellat.

Adulte à côté d'une Cochenille des agrumes (Planococcus citri). Il se nourrit de ses oeufs, à gauche, ou, en leur absence, des néanides

Adulte à côté d’une Cochenille des agrumes (Planococcus citri). Il se nourrit de ses oeufs, à gauche, ou, en leur absence, des néanides © Salvatore Nucifora

Les fourmis se nourrissent de ce miellat et protègent les insectes qui le produisent en s’attaquant aux espèces prédatrices dont, en l’espèce, la Coccinelle du papayer.

Cependant, les larves de cette dernière sont protégées par les rayons cireux et la forme sphérique des adultes offre peu de points faibles aux fourmis, qui peuvent difficilement les capturer.

Éthologie – Biologie de la reproduction

Les ovisacs des cochenilles sont disloqués et les néanides néonates tentent d’échapper au prédateur en s’en éloignant

Les ovisacs des cochenilles sont disloqués et les néanides néonates tentent d’échapper au prédateur en s’en éloignant © Salvatore Nucifora

Peu après leur éclosion, les adultes de Cryptolaemus montrouzieri partent à la recherche des colonies de Pseudococcidae, attirés par les phéromones sexuelles émises par les femelles non fécondées ; regroupées les unes à côté des autres, ces dernières amplifient ainsi le signal en direction de leurs minuscules mâles.

Cette phéromone sexuelle, qui s’avère ainsi néfaste aux organismes qui l’émettent, est appelée kairomone. Cependant, elle attire aussi les fourmis protectrices des cochenilles ; bénéficiant aussi bien aux cochenilles qui la produisent qu’aux fourmis qui se nourrissent du miellat, l’action de cette phéromone est dite synomonique.

L'accouplement a lieu peu après l’envol, sur des plantes dans la nature, ou sur le substrat d’élevage

L’accouplement a lieu peu après l’envol, sur des plantes dans la nature, ou sur le substrat d’élevage © Salvatore Nucifora

Les coccinelle du papayer adultes vivent en moyenne un peu plus de deux mois ; la femelle commence à pondre ses œufs cinq jours après la fécondation.

Dans des conditions optimales (températures voisines de 25 °C), chaque femelle dépose jusqu’à une vingtaine d’œufs par jour, environ trois cents au total, à proximité d’une proie, et protège la ponte avec des filaments cireux sécrétés par les nombreuses glandes et formant un ovisac.

La larve néonate de Cryptolaemus montrouzieri se nourrit presque exclusivement d’œufs.

La Coccinelle du papayer se nourrit également d'autres insectes, dont des pucerons. En haut, un adulte et, au centre, une larve qui a injecté son fluide digestif dans un puceron vert du rosier (Macrosiphum rosae) avant de l’aspirer

La Coccinelle du papayer se nourrit également d’autres insectes, dont des pucerons. En haut, un adulte et, au centre, une larve qui a injecté son fluide digestif dans un puceron vert du rosier (Macrosiphum rosae) avant de l’aspirer © el.gritche

Plus tard, elle s’attaque aussi aux jeunes stades et aux femelles préovigères de Pseudococcidae, ainsi qu’aux Coccidae et aux pucerons.

Le développement d’une larve dure une vingtaine de jours en laboratoire, durant lesquels elle détruit environ 1500 œufs ou 700 Planococcus citri néanides.

Son activité prédatrice est moins efficace contre le Puceron vert du rosier (Macrosiphum rosae) et des Coccidae comme Coccus hesperidum et Coccus pseudomagnoliarum, qualifiés d’ “hôtes de substitution” ou “de subsistance”, dans la mesure où ils ne fournissent pas l’ensemble des ressources nécessaires à la reproduction du prédateur.

En laboratoire, sous une température ambiante d’environ 25 °C et une humidité relative d’au moins 60 %,  la Coccinelle du papayer peut se reproduire sans interruption et produire jusqu’à huit générations par an.

En raison de ces caractéristiques biologiques et de la nécessité de l’intégrer dans les programmes de lutte biologique contre les cochenilles nuisibles à l’agriculture ou aux potagers, on continue à élever la Coccinelle du papayer dans des établissements spécialisés appelés insectariums ou biofactories.

Dans ces élevages, sa proie est généralement Planococcus citri, qu’on élève grâce aux germes de pommes de terre ou de citrouilles.

Après ensemencement en œufs et formation des colonies de proies, ces substrats sont transférés dans des cages spéciales dans lesquelles sont introduits quelques couples fraîchement éclos de Coccinelle du papayer.

Avec une température constante d’environ 27 °C et une humidité relative de 60%, le cycle de l’œuf jusqu’à l’adulte s’accomplit en une trentaine de jours.

Les adultes obtenus en laboratoire sont placés dans des récipients appropriés d’où ils sont relâchés dans les champs voisins ou sur les plantes parasitées ; là, ils recherchent leurs proies qu’ils localisent en suivant les traces olfactives de leurs colonies, aux dépens desquelles ils se reproduiront. Les larves voraces sont libérées de préférence en serres, car elles ne peuvent pas s’éloigner des plantes sur lesquelles elles ont été relâchées.

D'autres cochenilles à tégument peu résistant, comme Coccus hesperidum, sont dites proies de substitution ou de subsistance. Elles ne permettent pas à l’insecte de se reproduire

Les cochenilles à tégument peu résistant comme Coccus hesperidum sont dites proies de substitution ou de subsistance. Elles ne permettent pas à l’insecte de se reproduire © Samuel Goldstein

Cependant, si les larves se nourrissent de proies de substitution, leur développement s’en trouve ralenti et, comme nous l’avons vu, les adultes, tout en survivant, ne parviennent pas à se reproduire normalement.

Synonymes

Cette espèce a été décrite par Mulsant en 1850 comme Cryptolaemus montrouzieri ; plus tard, en 1853, Blackfurn l’a nommée Cryptolaemus simplex.

 

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