Emys orbicularis

Famille : Emydidae


Texte © Prof. Angelo Messina

 

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Traduction en français par Catherine Collin

 

Avec 6 sous-espèces et de nombreux synonymes liés à la variabilité chromatique, Emys orbicularis est présente dans une grande partie de l’Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Avec 6 sous-espèces et de nombreux synonymes liés à la variabilité chromatique, Emys orbicularis est présente en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord © Giuseppe Mazza

La Cistude d’Europe (Emys orbicularis, L., 1758), connue aussi comme Tortue de Brenne, Tortue boueuse ou Tortue des marais, en référence à son habitat, est l’une des rares espèces de Reptiles de l’ordre des Testudinés (Testudines), famille Emydidés (Emydidae), répandue aussi dans les zones tempérées d’Asie Mineure, d’Afrique du Nord-Ouest et d’Europe centrale et Méridionale.

Le nom de genre vient du grec ancien “ἐμύς” (emys), tortue d’eau douce, alors que le nom d’espèce orbicularis en latin signifie précisément, de forme ronde.

Mauremys caspica, est une autre tortue aquatique de la famille des géoémydidés (Geoemydidae) présente en Europe. La Cistude d’Europe cohabite avec cette espèce dans la péninsule ibérique et dans les Balkans.

Zoogéographie

Emys orbicularis, qui occupe pratiquement toute l’aire de répartition du genre, qui ne compte qu’une autre espèce (Emys trinacris), endémique de la Sicile, est divisée en 7-8 sous-espèces que l’on distingue sur la base d’éléments diagnostiques, surtout chromatiques, dont la validité reste à vérifier, et qui, de toute façon, sont reléguées dans des aires géographiques distinctes et fragmentées.

Elle peut atteindre 25 cm et environ 1 kg. Le plastron, légèrement concave chez les mâles, est formé de 12 éléments

Elle peut atteindre 25 cm et environ 1 kg. Le plastron, légèrement concave chez les mâles, est formé de 12 éléments © Giuseppe Mazza

Plus précisément, alors qu’en Europe centrale on trouve l’espèce type à laquelle est attribué le nom commun de Cistude d’Europe (E. o. orbicularis), en Anatolie vit la Tortue d’Eiselt (E. o. eiselti), en Grèce la Cistude hellénique (E. o. hellenica), dans la péninsule ibérique et en Afrique du Nord, la Tortue d’Afrique du Nord (E. o. occidentalis), au Moyen-Orient la Tortue de l’Est (E. o. persica), au Nord-Ouest de l’Italie (E. o. ingauna).

Très commune il y a quelques siècles encore dans les régions du Centre-Sud de l’Europe où elle était chassée à des fins alimentaires, cette espèce a vu son espace se réduire considérablement, elle est désormais considérée comme éteinte dans les régions à l’ouest de l’Elbe.

Les causes en sont principalement à rechercher dans la perte de son habitat due aux activités anthropiques telles que l’industrialisation croissante, l’exploitation des terres à des fins agricoles, l’assèchement des zones humides et la régulation des cours d’eau ainsi que la suppression de la végétation riveraine et la pollution progressive des eaux due à l’utilisation d’insecticides et de désherbants.

Morphophysiologie

De petite taille, la Cistude d’Europe peut atteindre 25 cm de long pour un poids qui peut dépasser 1 kilogramme chez les adultes.

Le corps est de couleur variable, plus fréquemment sombre ou verdâtre et, particulièrement chez les populations les plus méridionales, apparaît maculé de jaune sur la dossière et sur les parties non protégées du corps. Les pattes, de la même couleur que le reste du corps, montrent des doigts réunis jusqu’à la base des griffes par une membrane interdigitale. Chez les deux sexes, la queue est privée de griffe terminale et chez les adultes elle mesure environ la moitié de la longueur totale de l’animal.

Le plastron (ventre), habituellement légèrement plus concave chez les mâles, est de couleur variable, allant de la couleur du sable avec quelques veinures sombres jusqu’au jaune uniforme.

Ce plastron est composé de 12 éléments et présente dans sa partie centrale une articulation transversale qui le connecte à la dossière par des ligaments élastiques qui permettent une certaine mobilité à ses deux parties.

La dossière (dos), aplatie et ovale, d’où le nom d’espèce, varie beaucoup dans son coloris, du marron au vert olive, jusqu’au noir. Elle est formée de 5 plaques vertébrales cornées, 8 plaques costales (4 par côté) et 25 plaques marginales, dont une nucale et une supracaudale divisée en deux parties. Chez les jeunes individus on remarque sur la dossière une carène centrale qui disparaît ensuite complètement lors de la croissance.

Le dimorphisme sexuel commence à vraiment se remarquer aux alentours de 5 ans et concerne quelques caractères morphologiques liés à la reproduction.

Même si elle est étroitement liée à l'eau, par rapport à d'autres tortues aquatiques, la Cistude d'Europe n'est pas une bonne nageuse

Même si elle est étroitement liée à l’eau, par rapport à d’autres tortues aquatiques, la Cistude d’Europe n’est pas une bonne nageuse © Cédric Roy

Chez les femelles la queue est plus courte que chez les mâles avec une base plus large en relation avec la ponte des œufs, alors que chez les mâles le plastron est convexe et les griffes des pattes antérieures sont très arquées, aptes à agripper la carapace des femelles durant l’accouplement.

Écologie-Habitat

Animal essentiellement palustre, aimant les hautes températures, la Cistude d’Europe vit de préférence dans les milieux d’eaux douces calmes et limpides avec des berges riches en végétation.

On peut également la trouver dans les eaux saumâtres des lagunes côtières et les estuaires des fleuves mais aussi dans des milieux artificiels tels que des canaux d’irrigation et des plans d’eau dans les parcs publics.

Au contraire d’autres espèces de tortues aquatiques, Emys orbicularis n’est pas une bonne nageuse, même si elle est étroitement liée au milieu aquatique dans lequel elle passe la plus grande partie de sa vie et ne s’en éloigne qu’avec la plus grande prudence.

Durant la journée cette tortue se cache au sein de la végétation riveraine des étangs et des plans d’eau.

Active la nuit, dans les eaux calmes et limpides riches en végétation mais aussi dans les eaux saumâtres des estuaires, c'est une espèce principalement carnivore. Elle se nourrit de larves d'insectes, de vers, d’escargots, de têtards, d’amphibiens et de petits poissons, même morts, sans oublier les cadavres d'animaux et diverses plantes aquatiques comme les nénuphars et les lentilles d'eau

Active la nuit, dans les eaux calmes et limpides riches en végétation mais aussi dans les eaux saumâtres des estuaires, c’est une espèce principalement carnivore. Elle se nourrit de larves d’insectes, de vers, escargots, têtards, amphibiens, petits poissons, cadavres d’animaux et plantes aquatiques comme les nénuphars et les lentilles d’eau © Giuseppe Mazza

Animal principalement carnivore, elle est active la nuit et part à la recherche de proies variées, essentiellement des larves d’insectes, des vers, des escargots, des têtards et des adultes d’amphibiens et des petits poissons ; elle se nourrit aussi de poissons morts ou de cadavres d’autres animaux et même de plantes aquatiques comme les nénuphars et les lentilles d’eau. Malgré sa voracité, Emys orbicularis ne cause aucun dégât à la biocénose et peut survivre plusieurs années sans se nourrir.

En automne, la Cistude d’Europe se déplace vers le fond vaseux où elle se cache pour résister à la rigueur de l’hiver, demeurant en léthargie jusqu’au printemps suivant ; durant cette période les fonctions physiologiques de l’animal sont très réduites et l’apport en oxygène est assuré par la quantité absorbée à travers la respiration cutanée et le cloaque. La période d’hibernation se termine lorsque la température de l’eau atteint au moins 10°C.

Il a été observé que dans certains cas, plutôt que d’hiverner dans l’eau, mais toujours à proximité bien sûr, des individus trouvent refuge dans une tanière qu’ils creusent dans la terre, entre les racines de la végétation ou encore entre des roches.

Dans les régions à climat chaud, comme en Afrique, la Cistude d’Europe reste active toute l’année et lorsque l’intense chaleur estivale assèche le plan d’eau où elle vit, elle suspend son activité et se réfugie dans sa tanière pour attendre la pluie.

Lors de l'accouplement le mâle bloque la femelle avec son plastron convexe et les griffes arquées de ses pattes avant qu’il accroche à sa carapace

Lors de l’accouplement le mâle bloque la femelle avec son plastron convexe et les griffes arquées de ses pattes avant qu’il accroche à sa carapace © Eric Chevalier

Éthologie-Biologie Reproductive

À la fin du printemps ou au début de l’été, arrive la saison des amours durant laquelle, entre les mâles qui deviennent particulièrement agressifs, peuvent survenir des affrontements qui ne sont jamais dangereux.

L’accouplement peut avoir lieu soit dans l’eau soit sur la terre ferme ; la femelle peut pondre des œufs fertiles jusqu’à deux ans après l’accouplement.

Environ 30 à 45 jours après l’accouplement, la femelle part à la recherche d’un lieu adapté pour pondre ses œufs, s’éloignant parfois de plusieurs kilomètres du milieu où elle vit habituellement.

L’endroit idéal trouvé, chaque femelle creuse avec ses pattes arrière un trou sur le sol sableux et y pond de 4 à 12 œufs ronds à la coquille blanche et dure qu’elle recouvre de sable sec.

Après une période qui, selon la latitude, peut varier de 80 à 90 jours, et même 120 jours en Europe septentrionale, les petites tortues naissent, munies du “diamant” qu’elles utilisent pour briser la coquille et qui disparaîtra une fois sa mission accomplie.

30 à 45 jours après l'accouplement, la femelle cherche un lieu sableux, non sujet aux inondations, pour y pondre de 4 à 12 œufs dans un trou creusé avec ses pattes arrière

30 à 45 jours après l’accouplement, la femelle cherche un lieu sableux, non sujet aux inondations, pour y pondre de 4 à 12 œufs dans un trou creusé avec ses pattes arrière © Fernando Iglesias

À la naissance, les petites tortues ont le corps brun foncé tacheté de jaune et pèsent moins de 10 g. Leur carapace est molle et carénée. Si la température n’est pas suffisamment chaude ou en cas de ponte tardive, l’éclosion peut ne se produire qu’au printemps suivant.

Comme cela se produit chez beaucoup d’espèces de reptiles, le sexe des nouveau-nés est déterminé par la température d’incubation. Si les températures sont constantes, comprises entre 27° et 29 °C, naissent des petites tortues des deux sexes ; en revanche, avec des températures variantes entre 23° et 27° C ne naissent que des mâles et avec des températures se maintenant entre 29,5° et 33° C ne naissent que des femelles.

À la différence des individus adultes qui n’ont pratiquement pas de prédateurs naturels, les jeunes, jusque vers deux ans, peuvent être la proie d’oiseaux aquatiques ou de poissons. La croissance est très lente et peut se poursuivre jusqu’à 30 ans. Contrairement aux mâles qui atteignent la maturité sexuelle vers 6-8 ans, les femelles ne sont matures qu’à 15 ans. Animal d’une grande longévité, la Cistude d’Europe n’est pas pressée et peut atteindre plus de 120 ans.

Enfin, rappelons que reléguée en Sicile, où elle est présente sous la forme de populations isolées majoritairement concentrées sur le versant septentrional de l’île, vit l’autre espèce du genre, la Tortue de l’Ouest sicilien (Emys trinacris, Fritz et al., 2005).

L’incubation dure de 80 à 90 jours, mais peut se poursuivre jusqu'à 120 jours ou même un an si le froid survient. Chez les jeunes individus, sur la dossière on remarque une carène centrale qui disparaît complètement avec la croissance. La mortalité est élevée lors des deux premières années, mais l'espérance de vie de la Cistude d'Europe est de 120 ans

L’incubation dure de 80 à 90 jours, mais peut se poursuivre jusqu’à 120 jours ou même un an si le froid survient. Chez les jeunes individus, sur la dossière on remarque une carène centrale qui disparaît avec la croissance. La mortalité est très élevée lors des deux premières années, mais l’espérance de vie de la Cistude d’Europe est de 120 ans © Giuseppe Mazza

À cet égard, précisons que les populations siciliennes étaient autrefois attribuées à une sous-espèce de la Cistude d’Europe sous le nom de Emys orbicularis galloitalica et ce n’est que sur la base de récentes études biomoléculaires, que celle-ci a été élevée au rang d’espèce à part entière.

Au point de vue morphologique, cette espèce se différencie de la Cistude d’Europe par certaines caractéristiques chromatiques, comme le plastron qui chez l’espèce sicilienne ne montre pas de rayures brunes, ainsi que par son activité principalement diurne.

Pour conclure, ajoutons que les variations chromatiques, assez fréquemment accentuées, montrées par les populations d’Emys orbicularis selon la zone géographique de l’aire de répartition ont par le passé très probablement induit en erreur certains scientifiques qui lui ont attribué une importance taxonomique, d’où le grand nombre d’espèces actuellement ramenées comme synonymes d’Emys orbicularis.

Synonymes

Citons en quelques-uns: Testudo lutaria (Linnaeus, 1758), Testudo europaea (Schneider, 1783), Testudo punctata (Gottwald, 1792), Testudo rotunda (Merrem, 1820), Emys antiquorum (Valenciennes, 1833), Emys hofmanni (Fitzinger, 1836) et Emys tigris (Salvator, 1897).

 

→ Pour des notions générales sur les Testudines voir ici.

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