Sphenodon punctatus

Famille : Sphenodontidae

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Texte © Prof. Giorgio Venturini

 


Traduction en français par Jean-Marc Linder

 

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Endémique de Nouvelle-Zélande, le Tuatara (Sphenodon punctatus) évoque un gros lézard. Aux yeux de beaucoup, c’est un véritable fossile vivant © Giuseppe Mazza

Sphenodon punctatus, le Sphénodon ponctué, Tuatara en langue maori, est l’unique représentant vivant des rhynchocéphales (Rhynchocephalia), un des quatre ordres de reptiles vivant aujourd’hui – ou plutôt cinq, si on inclut les oiseaux dans les reptiles, suivant ainsi l’opinion de nombreux biologistes actuels. L’ordre des rhynchocéphales (du grec (ρυγχος) “rynkos” = bec et (κεφαλε) “kefale” = tête : avec une tête en bec) comprenait de nombreuses familles occupant des habitats variés. Son développement a été maximal au Mésozoïque, en même temps que les dinosaures, mais il s’est pratiquement éteint il y a environ 60 millions d’années.

D’une fragmentation de l’ancien continent Gondwana, il y a environ 100 millions d’années, est née la Nouvelle-Zélande, seul habitat actuel des sphénodons, qui s’est alors séparée de l’Australie. C’est probablement ainsi que de lointains prédécesseurs des sphénodons se sont retrouvés isolés sur une terre où il n’y avait pas de mammifères terrestres et où manquaient aussi d’autres prédateurs et compétiteurs importants (à l’exception des chauves-souris, l’unique fossile de mammifère terrestre connu est le petit mammifère archaïque de Saint Bathans, qui remonte au Miocène).

C’est probablement la raison qui a permis la survie des sphénodons jusqu’à nos jours sans avoir à endurer de changements trop substantiels, tandis que dans le reste du monde les rhynchocéphales luttaient contre l’extinction. Pareille situation s’est vérifiée pour d’autres animaux endémiques de Nouvelle-Zélande, dont en particulier diverses espèces d’oiseaux inaptes au vol comme les kiwis (Apteryx), le Weka (Gallirallus australis), le Kakapo (Strigops habroptila) ou les moas (Dinornis), ces derniers s’étant éteints à l’époque historique.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Au sommet de la tête, face au ciel, un troisième œil : l’œil pinéal © Giuseppe Mazza

En Nouvelle-Zélande, on a trouvé des restes fossiles de rhynchocéphales semblables aux sphénodons remontant au Pléistocène supérieur (environ 30 mille années) et au Miocène (19 à 16 millions d’années) ; ceci confirme l’hypothèse selon laquelle les ancêtres des tuataras étaient présents sur les terres qui, s’éloignant de la masse continentale du Gondwana, ont donné naissance à la Nouvelle-Zélande. Au contraire, si, comme le suggèrent certaines études récentes, la Nouvelle-Zélande a été complètement submergée il y a environ 25 millions d’années, il faut alors admettre que des sphénodons ancestraux d’origine inconnue sont arrivés après avoir dérivé sur les océans et ont colonisé les îles nouvellement formées au Miocène.

Ce reptile endémique de Nouvelle-Zélande qui ressemble morphologiquement à un gros lézard est communément considéré comme un fossile vivant ; on désigne ainsi les représentants d’une espèce d’origine ancienne qui n’a pas changé depuis des millions d’années. Ce point de vue n’est cependant pas partagé par tous les savants, parce que de nombreuses caractéristiques morphologiques du Sphénodon actuel ne sont pas identiques à celles des formes fossiles, et résultent plutôt de spécialisations survenues au cours d’innombrables millénaires. D’ailleurs, des analyses du génome mitochondrial montrent chez cette espèce une vitesse d’évolution moléculaire supérieure à celle de nombreux autres vertébrés.

Le terme “sphenodon” dérive du grec (σφήν) “sphen” = coin et (ὀδούς) “odous” = dent : dents en forme de coin. En latin, “punctatus” signifie “pointillé”. En langue maorie des natifs de Nouvelle-Zélande, “tuatara” signifie “épines sur le dos”.

Par le passé, on a reconnu deux espèces différentes de sphénodons : Sphenodon punctatus et Spenodon guntheri, présente dans l’île Brothers située dans le détroit de Cook, caractérisée par une taille plus petite et une pigmentation différente. Aujourd’hui, on reconnaît une seule espèce mais avec deux sous-espèces : Sphenodon punctatus punctatus et Sphenodon punctatus guntheri (en l’honneur de l’herpétologue Albert Günther).

Avant l’arrivée des hommes en Nouvelle-Zélande (les Maoris), probablement entre 1280 et 1300 après JC, les sphénodons vivaient dans les deux îles principales, celle du Nord et celle du Sud, et dans de nombreuses îles plus petites, les fossiles en attestent. Les Maoris ont apporté avec eux le chien polynésien (kurī, dans leur langue), source de nourriture et de fourrure pour les “Kahu kurī”, leurs précieux manteaux, et le rat polynésien (Rattus exulans ou kiore), qu’ils mangeaient. Ces animaux, premiers mammifères de Nouvelle-Zélande, ont porté aux sphénodons un rude coup, notamment en dévorant leurs œufs et en détruisant leurs nids. Les Maoris eux-mêmes les chassaient pour s’en nourrir ; à l’arrivée des Européens, les sphénodons avaient de ce fait pratiquement disparu des grandes îles et étaient confinés à de nombreuses petites îles au large des côtes. Avec les Européens ont débarqué leurs animaux domestiques et surtout deux nouvelles espèces de rats, le Rat noir ou Rat des champs (Rattus rattus) et le Rat brun ou Surmulot (Rattus norvegicus), qui ont à leur tour envahi de nombreuses petites îles de Nouvelle-Zélande, provoquant une nouvelle baisse sérieuse de la population de Tuarara.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Couvert d’une écaille translucide puis pigmentée, on ne le voit bien que chez les jeunes. Sans effet sur la vue, il informe sur la couleur de la lumière ou la position du soleil par temps couvert. Il stimule la glande pinéale pour la production d’hormones et de neurotransmetteurs régulant éveil, sommeil, thermorégulation et activité reproductrice © Southland Museum & Art Gallery, Invercargill

De nos jours, le Sphénodon est présent dans de nombreuses îles au large de la côte nord-est de l’île du Nord et dans certaines îles du détroit de Cook, qui sépare l’île du Nord du sud. On estime aujourd’hui la population totale de Tuatara à 60 000 à 100 000 individus, dont environ 600 relèvent de la sous-espèce guntheri. La population la plus importante est celle de l’île Stephens (Takapourewa en langue maorie), dans le détroit de Cook, forte d’environ 30 000 individus.

Le gouvernement néo-zélandais est engagé dans diverses actions visant à augmenter le nombre de sphénodons et à les réintroduire dans les deux îles principales. Ces actions consistent surtout en l’élimination des rats qui, en s’attaquant aux nids, représentent le principal obstacle à la reproduction des Tuatara.

Dans la réserve naturelle de Karori, près de Wellington, on a introduit avec succès quelques individus de sphénodons sur la “terre ferme”, la première naissance de nouveaux spécimens ayant eu lieu en 2009. À ce propos, plusieurs centres de l’île du Nord et du Sud élèvent des sphénodons en captivité aux fins de recherche et de réintroduction dans des environnements appropriés. Historiquement, le premier de ces centres a été le Southland Museum and Art Gallery d’Invercargill, réputé pour avoir hébergé le vieux Henry : à l’âge probable d’environ 110 ans, ce sphénodon s’est accouplé en 2009 à Mildred, âgée elle-même de quatre-vingts ans, pour engendrer une dizaine de petits. Il faut souligner que Henry avait survécu à l’ablation chirurgicale d’un cancer du cloaque, et que c’est bien le succès de l’opération qui a rendu l’accouplement possible.

Récemment, le gouvernement de Nouvelle-Zélande a annoncé un plan d’éradication des espèces invasives qui dévastent l’écosystème unique de ce pays. En particulier, on espère éliminer tous les rats, mustélidés et possums (Trichosurus vulpecula) d’ici 2050, afin de permettre aux espèces indigènes comme les sphénodons de réinvestir leurs habitats d’origine. Le sujet des possums est particulièrement intéressant : ces marsupiaux importés d’Australie vers 1837 principalement pour la production de fourrure, se sont vite révélés être une véritable calamité : l’absence de prédateurs et de compétiteurs les a fait se multiplier sans contrôle au point d’atteindre 70 millions d’individus estimés.

Les mesures adoptées jusqu’ici ont permis d’en réduire la population, qui s’élève néanmoins encore à quelques dizaines de millions d’individus et provoque d’énormes dégâts comme les transmissions de zoonoses, l’appauvrissement de la végétation et la prédation des nids d’espèces autochtones.

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Les dents cunéiformes ont inspiré le nom du genre Sphenodon. Bouche fermée, l’unique rangée de dents de la mâchoire inférieure s’imbrique parfaitement dans la double rangée supérieure, cas unique chez les vertébrés © Giuseppe Mazza

Morphologie

Le Sphénodon a l’allure générale d’un gros lézard atteignant 70 à 80 cm et un poids qui peut dépasser 1200 grammes ; les mâles sont généralement plus grands que les femelles. La couleur varie du brun-vert au rougeâtre ou au gris ; elle peut changer au cours de la vie d’un individu, d’autant plus qu’il mue chaque année.

Sur le dos se trouve une crête épineuse soutenue par des plis cutanés, plus développée chez les mâles. La crête peut être érigée pendant la parade nuptiale ou les combats entre mâles. Son anatomie présente des particularités remarquables, dont certaines soulignent sa primitivité.

Les dents cunéiformes sont soudées aux os des mâchoires, qui par conséquent semblent dentelées, et ont une disposition unique chez les vertébrés : deux rangées de dents dans l’arcade dentaire supérieure, une seule dans celle du bas, mais qui s’insère parfaitement entre les deux rangées supérieures lorsque la gueule est fermée.

Cette disposition ne se trouve chez aucun autre reptile. D’autre part, la mâchoire peut avancer et reculer pendant la mastication, et tout ceci permet à l’animal de broyer des proies même très dures, chitineuses ou ossues, avant de les ingérer.

Ces mouvements permettent également l’auto-affûtage des dents. Comme, chez ces animaux, il y en a une seule génération pour toute leur vie, et comme elles subissent une usure continue, les vieux animaux aux arcades dentaires presque complètement lisses ne peuvent se nourrir que d’aliments mous comme des vers, des larves ou des escargots.

Le squelette a plusieurs particularités. Le crâne de l’animal a des caractéristiques primitives : ainsi, il est de type diapside, c’est-à-dire qu’il présente les deux ouvertures (fenêtres temporales) typiques des reptiles fossiles les plus anciens.

Les faces antérieure et postérieure des vertèbres sont concaves comme celles des poissons (on les dit “amphicoeles”, c’est-à-dire avec une double cavité), mais à la différence de celles des autres reptiles, qui n’ont qu’une seule concavité. Dans l’espace intervertébral délimité par les deux concavités se trouve un résidu visible de la corde dorsale, i.e. de la structure dorsale de soutien qui, dans l’évolution, précède la colonne vertébrale. Chez d’autres vertébrés, elle n’est présente que dans les embryons et ne subsiste chez l’adulte que sous forme de petits résidus (chez l’homme, ce sont les noyaux pulpeux des disques intervertébraux).

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La livrée est généralement brun-verdâtre, mimétique avec l’environnement. Elle évolue avec l’âge et pendant la saison de reproduction, où elle devient plus foncée © Giuseppe Mazza

Les côtes sont également très particulières et présentent de grands “processus uncinés”, excroissances dirigées vers l’arrière qui tendent ainsi à relier chaque côte à la précédente. Comme chez les crocodiles et chez de nombreux dinosaures, les côtes abdominales (les “gastralia”) sont également présentes et bien développées ; cet ensemble d’os en forme de côtes crée une sorte de cage abdominale qui protège et soutient les viscères.

Parmi les nombreuses particularités anatomiques du sphénodon, il convient de rappeler à nouveau la primitivité du crâne, de type diapside, qui conserve nombre des caractéristiques originales des premiers amniotes.

Comme pour la plupart des lézards, le Sphénodon est capable de s’automutiler la queue en cas d’agression (autotomie). La queue continue à se contorsionner et distrait ainsi l’attention du prédateur pendant que le sphénodon s’échappe. À partir du moignon est régénérée une nouvelle queue, qui diffère cependant de la queue d’origine par sa couleur et certaines propriétés anatomiques.

Organes des sens

Les quelques études menées sur l’appareil sensoriel suggèrent que la vision joue un rôle primordial à la fois dans le comportement social et reproductif et dans la prédation ; il a cependant été observé que ces animaux mordent dans des gabarits de coton frottés sur des proies, ce qui montre que l’odorat ou, de façon générale, la chimioréception, interviennent aussi dans la nutrition.

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Les yeux latéraux focalisent indépendamment l’un de l’autre et brillent la nuit comme ceux des chats © Paddy Ryan

Les yeux, qui peuvent focaliser indépendamment l’un de l’autre, sont dotés de cônes pour la vision diurne et de bâtonnets pour la vision nocturne. Comme chez de nombreux vertébrés nocturnes, la vision dans des conditions de faible luminosité est facilitée par la présence d’un tapis réfléchissant placé derrière la rétine (le “tapis clair”) : les rayons lumineux qui n’ont pas été interceptés par les photorécepteurs sont réfléchis vers l’avant et peuvent à nouveau traverser la rétine, doublant ainsi la sensibilité (chez les animaux diurnes comme les humains, on trouve, à la place du tapis clair, un tapis sombre qui absorbe les rayons lumineux et empêche la réflexion, ce qui réduit la sensibilité mais augmente la définition).

La présence du tapis clair chez les animaux nocturnes explique par exemple pourquoi les yeux du chat brillent dans le noir lorsqu’ils sont frappés par un faisceau lumineux : le rayon est réfléchi par le tapis clair comme par un miroir.

L’oreille est très primitive : le tympan est absent et l’oreille moyenne est remplie d’un tissu lâche, adipeux pour l’essentiel. L’appareil auditif du Sphénodon est capable de percevoir des sons de fréquences comprises entre 100 et 800 Hz, avec une sensibilité maximale de 40 dB à 200 Hz. Il est donc capable de percevoir des sons comme une voix humaine au volume d’une conversation normale, mais beaucoup moins une voix féminine de soprano.

Comme chez de nombreux autres vertébrés, le sens de l’odorat est localisé non seulement dans la muqueuse nasale mais également dans l’“organe voméronasal”, ou organe de Jacobson, situé dans la voûte du palais. Chez les sphénodons comme chez les tortues, cet organe a pour fonction de percevoir les odeurs des aliments contenus dans la bouche.

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Quand ils n’ont pas besoin de se chauffer au soleil, les adultes se reposent le jour dans des terriers, parfois soustraits aux oiseaux marins avec lesquels ils vivent. Ils chassent la nuit et détectent leurs proies dans l’obscurité grâce aux nombreux bâtonnets des yeux et au tapis clair qui se trouve derrière la rétine © Giuseppe Mazza

Cependant, l’un des aspects les plus intéressants de l’anatomie du Sphénodon est le développement remarquable du troisième œil, appelé œil pariétal ou pinéal.

L’œil pinéal est une structure photosensible, présente chez certains vertébrés comme les lamproies, certains poissons, les amphibiens et certains reptiles, située dans la région supérieure du cerveau appelée épithalame.

Alors que chez de nombreux animaux le troisième œil est plus ou moins réduit et simplifié, il présente chez le Sphénodon une structure presque identique à celle des deux yeux latéraux. Chez le nouveau-né, l’œil pariétal est recouvert d’une écaille transparente ; chez l’adulte, la couverture devient plus opaque et pigmentée mais permet toujours le passage des rayons lumineux.

L’œil pariétal est extérieurement très semblable aux deux yeux vertébrés normaux (yeux latéraux), avec sa forme globulaire, recouvert d’une cornée et d’un cristallin transparent, rempli d’une substance gélatineuse (humeur vitreuse) et dont le fond est tapissé d’une rétine contenant les photorécepteurs d’où part un nerf (appelé pariétal) équivalent au nerf optique.

Malgré ces fortes similitudes, il existe aussi des différences très importantes qu’il convient de décrire. La rétine des yeux latéraux des vertébrés est constituée de plusieurs couches de cellules nerveuses et est de type inversé, c’est-à-dire que la couche photoréceptrice est située en dessous de toutes les autres couches.

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Les jeunes sont actifs le jour, pendant que les adultes dorment. Les cas de cannibalisme ne sont hélas pas rares © Paddy Ryan

De cette façon, pour atteindre les parties photosensibles des photorécepteurs (cônes et bâtonnets), les rayons lumineux doivent traverser toutes les couches rétiniennes.

À son tour, la rétine repose sur une couche pigmentée qui recouvre le fond de l’œil (rétine pigmentée). Au contraire, la rétine de l’œil pariétal n’est pas inversée et donc les parties photosensibles des photorécepteurs sont tournées vers les rayons lumineux provenant du cristallin, mais avec interposition de la couche pigmentée qui n’est donc pas située en dessous de la rétine mais au dessus.

Pour comprendre la structure des yeux latéraux des vertébrés et les différences avec l’œil pariétal, il faut comprendre leur développement embryonnaire.

Le système nerveux central apparaît dans l’embryon sous la forme d’un tube à paroi relativement mince fermé antérieurement. Au cours du développement, une série de gonflements et d’épaississements vont former les différentes parties du cerveau, et la cavité interne préfigure le système ventriculaire cérébral. Les yeux latéraux proviennent de deux protubérances en forme de vésicule (vésicules optiques) qui proviennent de la paroi latérale de l’une des parties de l’encéphale, appelée diencéphale ; l’œil pariétal, lui, provient d’une vésicule qui dérive de la partie dorsale du diencéphale, l’épithalamus, à partir duquel se forme également l’épiphyse. Les yeux font donc partie de l’encéphale. Les cellules précurseuses des cellules photoréceptrices sont situées dans la couche la plus interne de la paroi de la vésicule optique, la partie photosensible étant tournée vers l’intérieur.

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Sphénodon adolescent sur l’île Stephens. Après près d’un an d’incubation dans le sable, les nouveau-nés pèsent 4 à 6 grammes © Paddy Ryan

Pour les yeux latéraux, la paroi externe des vésicules optiques s’invagine pour former une structure en calice à deux feuillets (papille optique) ; la couche externe, côté convexe, devient la rétine pigmentée et la couche intérieure, côté concave, devient la rétine sensorielle photosensible. Les photorécepteurs sont donc tournés vers la couche la plus profonde de la papille optique et non vers la direction d’où vient la lumière (rétine de type inversé). Le pédoncule qui relie la papille optique au cerveau deviendra au nerf optique. L’épiderme sus-jacent produira la cornée et le cristallin.

Dans le cas de l’œil pariétal, au contraire, la vésicule ne s’invagine pas pour former une coupe et sa paroi externe, ou dorsale, devient transparente et forme le cristallin, tandis que l’intérieure, adjacente au cerveau, donne à la fois la rétine pigmentée et la rétine sensorielle photosensible, qui présente donc des couches cellulaires inversées par rapport à celles des yeux latéraux (rétine non inversée).

Malgré l’étroite similitude morphologique avec les deux yeux latéraux, le troisième œil présente quelques différences fonctionnelles intéressantes.

Alors que dans les yeux latéraux, les photorécepteurs (les cônes et les bâtonnets) génèrent continuellement des impulsions nerveuses en l’absence de stimule lumineux et sont plutôt inhibés par la lumière, dans le cas de l’œil pariétal, les photorécepteurs ne sont excités que par la lumière et sont plutôt au repos lorsqu’ils sont dans l’obscurité.

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La femelle pond entre 6 et 10 œufs. Il faut 1 à 3 ans pour produire le jaune et 7 mois de plus pour l’albumine et la souple coquille parcheminée © Paddy Ryan

En fait, des études récentes suggèrent une situation plus complexe, avec la présence d’au moins deux types de pigments sensibles à différentes longueurs d’onde dont une a un effet stimulant et l’autre inhibiteur.

De cette façon, l’œil pariétal aurait la capacité non seulement de fournir des informations sur l’intensité lumineuse, mais également sur la couleur de la lumière.

Il semble encore que cet organe, apparemment plus complexe qu’on ne le pensait auparavant, soit également capable de percevoir la polarisation de la lumière et donc de fournir des informations sur la position du soleil même avec un ciel couvert.

La fonction du troisième œil, bien qu’elle ne soit pas complètement connue, est cependant liée à celle de la glande pinéale adjacente, ou épiphyse. Cette glande produit essentiellement la mélatonine, hormone qui régule les rythmes circadiens et saisonniers, l’alternance des phases d’éveil et de sommeil, et d’autres fonctions liées à la durée du jour, comme la production d’hormones sexuelles, les cycles de reproduction et d’autres aspects comportementaux.

En ce sens, donc, le troisième œil, percevant les signaux lumineux et donc la durée du jour et de la nuit, régule la fonction de l’épiphyse. Il est également probable que l’œil pariétal intervienne dans la synthèse de la vitamine D qui, on le sait, nécessite des rayons ultraviolets. En plus de la production de mélatonine, la glande pinéale agit en modulant certaines des activités de l’hypophyse.

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A la chasse dans le sous-bois. Est proie tout ce qui passe : coléoptère, sauterelle, vers, mille-pattes, araignée, et aussi œuf et oisillon d’oiseau marin © Paddy Ryan

Pour rappel, chez l’homme comme chez d’autres mammifères, le troisième œil est absent mais l’épiphyse est en tout cas régulée par l’éclairement grâce aux circuits neuronaux qui la relient aux yeux. Selon Descartes, la glande pinéale serait le siège de l’âme ; on ignore si cela pourrait être vrai également pour le Sphénodon.

Le Sphénodon vit généralement dans ses propres terriers même s’il utilise régulièrement les nids d’oiseaux marins avec lesquels il peut cohabiter. C’est un animal principalement nocturne, néanmoins souvent dehors au milieu de la journée pour se réchauffer au soleil. Au contraire, les jeunes sujets sont généralement diurnes – peut-être aussi pour échapper à la prédation des adultes, qui ont des tendances cannibales.

L’alimentation consiste principalement en invertébrés comme les coléoptères, les sauterelles et criquets (les proies communes sont les wetas, groupe de grands orthoptères endémiques de Nouvelle-Zélande), les vers, les mille-pattes ou les araignées, mais des vertébrés comme les poussins d’oiseaux de mer, leurs œufs, lézards et grenouilles peuvent également servir de proie. Avantage considérable, le guano des oiseaux avec lesquels le Sphénodon partage l’habitat et parfois le nid, attire divers invertébrés. Mâles et femelles défendent leur territoire et peuvent attaquer les intrus. Leurs dents solides et leur mâchoire puissante en font un prédateur et un adversaire redoutables.

Les mouvements des adultes sont généralement lents, mais si nécessaire, ils peuvent parcourir de courtes distances à plus de 20 kilomètres par heure. Les jeunes sont beaucoup plus vivaces.

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Le voilà avec un criquet. Au besoin, cet animal plutôt lent est capable de mouvements rapides et de sprints à 20 km/h. Il doit ensuite se reposer longtemps pour récupérer © Paddy Ryan

Métabolisme

Le Sphénodon a une température corporelle optimale de 16 à 21 °C, inférieure à celle de la plupart des reptiles ; s’il passe généralement l’hiver en hibernant, il peut cependant rester actif même à basse température, jusqu’à environ 6 °C.

Cela correspond à un métabolisme très lent. Le sang du Sphénodon a des caractéristiques particulières correspondant à son comportement marqué par une lenteur générale des mouvements, entrecoupée de brefs et rapides sprints. L’hémoglobine des sphénodons est en effet très peu efficace pour transporter l’oxygène des poumons vers les tissus : conjugué au faible nombre de globules rouges présents dans le sang, ce fait rend l’animal très dépendant du métabolisme anaérobie, basé sur la fermentation lactique et non sur l’utilisation rapide de l’oxygène. Ce type de métabolisme permet de très brefs moments d’intense activité, indispensables pour capturer les proies, suivis de longues périodes de récupération pour reconstituer les réserves énergétiques. Ceci serait probablement très pénalisant dans un environnement où seraient présents des prédateurs et des concurrents énergétiquement plus compétitifs.

Reproduction

Animaux à croissance lente, les sphénodons atteignent la maturité sexuelle entre 10 et 20 ans et continuent de grandir jusqu’à environ 35 ans.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Griffes et solides pattes : il est bien équipé pour grimper et se déplacer à la recherche de proies dans la ramure des arbres © Paddy Ryan

Pendant la saison de reproduction, la peau devient plus foncée : il se peut que la pigmentation soit influencée par la production de mélatonine par l’épiphyse, elle-même régulée par l’œil pariétal sensible aux rythmes circadiens.

Pendant la parade nuptiale, le mâle contourne lentement la femelle, pattes raides et crête dorsale redressée.

L’accouplement a lieu en fin d’été ; le mâle grimpe sur le dos de la femelle, le contact entre les ouvertures cloacales a lieu grâce à une torsion de la partie arrière du corps des deux partenaires.

Au printemps suivant, les femelles creusent un nid dans le sol où elles pondent entre 6 et 10 œufs, qui restent à incuber pendant environ un an. Les petits, qui pèsent 4 à 6 grammes à la naissance, cassent la coquille de l’oeuf à l’aide d’une “dent d’oeuf” placée au sommet du museau, et commencent immédiatement à se nourrir. Le cannibalisme par des adultes des deux sexes n’est pas rare.

La coquille des œufs est molle et parcheminée. La femelle met entre un et trois ans pour produire le jaune et environ sept mois pour produire l’albumine puis la coquille. 12 à 15 mois séparent l’accouplement et l’éclosion des oeufs. La reproduction a lieu à des intervalles de 2 à 5 ans et est la plus lente de tous les reptiles. La croissance et la maturation du corps sont également lentes. Les sphénodons continuent en effet de grandir jusqu’à environ 35 ans ; la durée de vie moyenne est d’environ 60 ans mais, on l’a vu, certains individus peuvent dépasser le siècle.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Celui-ci a capturé une jeune sterne et la broie entre ses dents imbriquées. Les sujets âgés ne le peuvent plus et se satisfont de proies molles : vers, larves, escargots © Paddy Ryan

Comme il advient chez d’autres reptiles et chez certains poissons, le sexe du petit à naître est déterminé par des causes génétiques, mais aussi par la température d’incubation des œufs : des températures plus élevées produisent plus de mâles, et les femelles prédominent à des températures plus basses. Ainsi, à 21 °C, les probabilités sont égales pour les deux sexes, il y a 80 % de mâles à 22 °C, et la descendance est entièrement femelle à 18 °C.

Le mâle étant dépourvu de pénis, l’accouplement se fait simplement par apposition des cloaques des deux partenaires, puis par transfert de sperme. Tous les autres reptiles en étant dotés, l’absence de pénis chez le Sphénodon a piqué la curiosité des chercheurs. Les sphénodons présentent des caractères considérés comme typiques des reptiles les plus primitifs ; on s’est alors demandé si l’absence de pénis devait être considérée comme une caractéristique des premiers reptiles, auquel cas on aurait dû admettre que l’apparition du pénis aurait évolué indépendamment dans les différents groupes.

La question a été résolue en 2015 par l’étude d’embryons de sphénodons : on a constaté que le pénis est présent dans les premiers stades de développement et disparaît ensuite, comme pour la plupart des oiseaux. Le Sphénodon étant protégé de façon stricte, il est interdit de sacrifier des embryons ; ces études morphologiques ont donc été menées sur d’anciennes préparations microscopiques remontant au début du XXe siècle.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

70-80 cm pour 1200 grammes à l’âge adulte, mâchoire puissante : certains Maoris en éprouvent peurs et superstitions, d’autres s’en nourrissent lors d’un rituel de courage © Giuseppe Mazza

Pour l’anecdote, on rappellera que le médecin et naturaliste A. K. Newman a écrit en 1878 que “contrairement à d’autres lézards, le Sphénodon n’a pas de pénis et a donc probablement des passions sexuelles insignifiantes” (on rappelle aussi que le même auteur a publié quelques années plus tard une étude dans laquelle il déclarait que les Maoris étaient une race malade, dépravée et brutale, dont l’extinction n’aurait pas été à regretter).

Les Maoris et les tuataras

La relation entre la culture des peuples autochtones de Nouvelle-Zélande et les tuataras est complexe et hétérogène. D’une façon générale, les Maoris, comme les Polynésiens en général, détestaient ou craignaient les sauriens et par extension les sphénodons, auxquels ils attribuaient la malchance, la mort et diverses calamités : ces animaux représentaient le dieu Whiro qui incarne l’obscurité et la mort ; récemment encore, des Maoris étaient horrifiés à la vue d’un sphénodon. Mais tous les groupes maoris n’associent pas les tuataras à cette hostilité générique envers les sauriens, au point que les membres de certaines tribus semblent s’en nourrir. Plus probablement cependant, compte tenu de cette crainte suscitée par les sphénodons, en manger serait plutôt à considérer comme une épreuve rituelle de courage et d’initiation pour l’accès à des fonctions sacerdotales.

A l’appui de la peur des sphénodons, certaines sculptures témoignent que, dans la mythologie maorie, la terrifiante femme-oiseau géante des forêts Kurangaituku était accompagnée de quelques tuataras, ce qui naturellement augmentait la crainte inspirée par l’espèce.

Sphenodon punctatus, Sphenodontidae, tuatara

Cet animal peut dépasser 100 ans. Aujourd’hui, on le défend contre les prédateurs arrivés avec l’homme et on le réintroduit dans des milieux sécurisés © Giuseppe Mazza

Cependant, en contraste avec sa mauvaise réputation, certaines tribus en faisaient le gardien du savoir et en relâchaient souvent des individus près des tombes des guerriers pour les garder.

Les sphénodons avaient aussi une place dans la Création : le dieu Peketua avait en effet fait un œuf d’argile et, sur la suggestion de son frère Tane, dieu de la forêt, lui avait donné la vie et créé ainsi les tuataras. Selon un ancien conte de fées Taurikura, la fille trop gâtée d’un chef se comportait avec arrogance avec son vieux grand-père. Critiquée par la communauté, repentie et honteuse, elle quitta le village et après diverses aventures se transforma en lézard pour ne plus être reconnue par personne. Ainsi seraient nés les tuataras.

Maladies des sphénodons

Plusieurs pathologies ont été relevées chez les sphénodons sans qu’on sache vraiment lesquelles sont réellement présentes dans la nature, et lesquelles sont plutôt spécifiques aux individus gardés en captivité. Parmi celles-ci figurent une dermatite fongique et des parasitoses causées par des acariens ou des tiques (Aponomma sphenodonti), des nématodes (Hatterianema hollandiae) ou des trématodes (Dolichosaccus leiolopismae).

Synonyme

Hatteria punctata Gray, 1842.