Famille : Troglodytidae

Texte © Dr. Gianfranco Colombo

Traduction en français par Catherine Collin

Le Troglodytes troglodytes est le plus petit volatile européen après le Roitelet huppé (Regulus regulus) © Alvaro Dellera
Dans les îles britanniques, surtout en Irlande, le jour de la Saint Stéphane il y avait une ancienne tradition selon laquelle tous les jeunes du village, le visage noirci de suie, s’égayaient par la campagne battant les haies et les buissons à l’aide de bâtons, chassant ce tout petit oiseau afin de le tuer et l’enterrer ensuite dans un but insolite.
Une fois capturé, il était accroché à une branche de houx, porté en procession par tout le village et montré à tous les habitants.
Il semble étrange qu’une tradition si ancienne et reléguée dans des lieux si éloignés des plus nobles centres de la culture gréco-latine, finisse par ressembler à d’autres, ayant lieu à des milliers de kilomètres de distance.
Si celle-ci est cataloguée comme une archaïque tradition mégalithique celtique, le très ancien rite grec du Kelidonismos de l’île de Rhodes, peut-être contemporain, l’est aussi. Deux traditions si éloignées, mais avec un rapport si étroit, qu’elles sont pratiquement semblables.
Toutes deux traitent de petits oiseaux sans défense mais fortement représentatifs de l’alternance des saisons et métaphoriquement, de la régénération annuelle de la terre. Si pour Kelidonismos il s’agit d’Hirondelles rustiques (Hirundo rustica) pour La An Droilin il s’agit de Troglodytes mignons. Pour la première, les garçons passaient de maison en maison pour recueillir des dons en faveur des hirondelles, dans la seconde ? ceux-ci passaient quémander de petites offrandes pour célébrer les funérailles du pauvre troglodyte. Il est aisé de rapprocher les deux du moderne Halloween et de son “des friandises ou des bêtises ?”.
Menu comme un troglodyte, tu es vraiment un troglodyte ! Combien de fois n’a-t-on entendu ces mots au sujet d’un enfant impuissant ou d’un petit animal ayant besoin d’affection. Qui sait combien de personnes ont utilisé cette référence sans jamais avoir réellement vu ce petit oiseau vivant ? En effet, il est certainement plus facile d’entendre son chant vibrant que de l’observer dans son habitat naturel.

Il pèse moins de 10 g et ne dépasse pas les 10 cm de long pour une envergure d'environ 12 cm © Dellera
Si nous considérons qu’il est le second plus petit oiseau d’Europe, le premier et vainqueur de peu étant le Roitelet huppé (Regulus regulus), si nous y ajoutons les milieux qu’il fréquente et la couleur de sa livrée, nous avons là toutes les conditions requises afin de lui concéder le privilège de passer facilement inaperçu.
Déjà son nom scientifique Troglodytes qui trahit une origine venant du grec ancien “troglo” = caverne et “dutes” = habitant, terme facilement traduisible dans les langues modernes en cavernicole ou troglodyte, nous donne une idée de son style de vie réservée et cachée. En effet, ce n’est pas qu’il passe sa journée dans une caverne mais les coins sombres, les creux et les cavités des troncs et du sol représentent ses lieux de prédilection.
Malheureusement ces habitude souterraines ajoutées à des superstitions qui n’ont jamais laissé en paix l’âme humaine, ont mené la vie dure à ce petit oiseau.
L’Être humain a toujours entretenu une relation étroite avec le monde des oiseaux parce qu’eux aussi chantent, dansent, construisent des habitations et ont deux pattes comme lui-même et nous les avons toujours imités. Dans le même temps l’Être humain a eu envers ces mêmes animaux une crainte ancestrale qui l’a porté à embrasser aveuglément des superstitions et de funestes interprétations pour lesquelles ce même petit oiseau aimé se trouvait ensuite sacrifié.
Immoler un poulet selon la tradition vaudou, lire les intestins de la part des haruspices étrusques, pendre un corbeau pour combattre les récoltes, manger le cœur d’un hibou pour combattre la cécité, ce n’est pas étonnant si notre pauvre troglodyte, en compagnie de l’inoffensif Rouge-gorge familier (Erithacus rubecula) a souvent été victime des mineurs qui voyaient la présence de ces oiseaux dans les mines comme le signe annonciateur d’une prochaine tragédie.
Enfin, toujours dans les anciennes traditions, encore du temps d’Ésope et de Plutarque, le troglodyte ou Jenny Wren (féminin utilisé pour les deux sexes) comme il était souvent appelé, est considéré comme étant le roi de tous les oiseaux, démontrant que ce qu’il lui manque en taille, il le montre en intelligence.

En période de reproduction, il vagabonde dans les milieux humides et ombragés, pourvus d’un sous-bois riche de roches et de troncs recouverts de fougères et de lichens © Agostino Codazzi
En Italie le Troglodyte mignon a un nombre incroyable de surnoms régionaux parmi lesquels bucafratte, forasiepe, foramacchie, trentapesi, picialì, uccellino del freddo (petit oiseau du froid), alors qu’en différents pays le nom vulgaire reprend sa position royale. En Allemagne il est appelé Zaunkönig (roi des haies) ou Schneekönig (roi des neiges), aux Pays-bas Winterkoning (roi de l’hiver), au Japon Roi des vents alors qu’en Espagne on l’appelle Chochin, en Italie Scricciolo et en Angleterre Wren.

Voici sa demeure : un petit trou presqu'invisible, bien camouflé parmi les rochers, d'où il entre et sort à l'improviste, rapide comme une souris. Une vie, en substance, de cavernicole, comme le souligne avec insistance le nom de genre et d'espèce, du grec « troglo » = caverne et « dutes » = habitant © Gianfranco Colombo
L’origine du nom anglo-saxon wren vient d’une distorsion de l’ancien mot celtique wrenne ou wraenna. En espagnol son nom singulier vient de sa ressemblance avec la bécasse (Scolopax rusticola), nommée en espagnol “chocha perdiz”, de façon racourcie donc chochin, même si ce terme est habituellement utilisé en argot comme une vulgaire expression sexuelle.
Zoogéographie
Le Troglodyte mignon est présent dans toute l’Europe, en Afrique du Nord et en Asie dans les régions fraîches tempérées jusqu’au Japon.

Bien qu'étant menu, il a un chant sonore et strident : un trille inimaginable, mélodieux et improvisé © Gianfranco Colombo
Comme il est typique avec ces oiseaux qui ont une aire de répartition très vaste, un nombre notable de sous-espèces ont été déterminées pour le troglodyte. Il en a été classifié environ une quarantaine, pour la plupart liées à des territoires insulaires isolés ou à des aires particulièrement reculées de la planète.
Rien qu’en Europe et en exemple de la variété rencontrée, nous avons Troglodytes troglodytes islandicus d’Islande donc, Troglodytes troglodytes borealis des îles Féroé, Troglodytes troglodytes zetlandicus des îles Shetland, Troglodytes troglodytes fridariensis toujours des Shetland mais relégué à Fair Isle, Troglodytes troglodytes hirtensis de l’île isolée Saint Kilda dans les Hébrides, Troglodytes troglodytes hebridensis des Hébrides extérieures, Troglodytes troglodytes indigenus de Grande-Bretagne et d’Irlande et enfin Troglodytes troglodytes troglodytes d’Europe continentale.
Le Troglodyte mignon est sédentaire dans ses aires tempérées alors qu’il est partiellement migrateur dans les territoires plus froids.
Morpho-physiologie
La livrée du Troglodyte mignon, totalement marron-châtaigne, est fortement marquée de taches noirâtres légères qui sur la queue prennent l’aspect d’une fine rayure. La poitrine est légèrement plus claire, avec une coloration crème compacte et presque totalement privée de rayures sauf sur les flancs.
Sur la tête il présente une raie supra-sourcilière blanchâtre marquée qui s’interrompt à proximité de la nuque.

Il est sans cesse en mouvement, toujours à tourner en rond à la recherche des petits insectes dont il se nourrit, en une danse sautillante et frénétique, tenant sa queue verticale, typiquement droite jusqu’à presque toucher sa nuque © Gianfranco Colombo
La position prise habituellement durant ses incessants mouvements nerveux et agités est typique de cet oiseau. Comme on dit, toujours en mouvement !
Toujours bien campé sur ses petites pattes, comme s’il voulait paraître plus grand que nature, il tient sa queue dressée à la verticale en permanence, soulignant ainsi, avec l’habituel mouvement agité de son corps, la fébrilité qui le caractérise.
Si l’on considère son habitude à demeurer presque toujours au sol et son atavique manie d’entrer et de sortir de n’importe quel trou, avec une rapidité de rat, il n’est pas difficile de le prendre pour un petit rat.
Puis, pour un instant cesse la spasmodique et génétique frénésie et le voilà qui saute sur un perchoir pouvant se trouver à quelques centimètres du sol, la queue dressée jusqu’à toucher sa nuque et émet son chant strident parfois fort et improbable pour une créature “petite comme un troglodyte”. Un trille inimaginable, agréable, mélodieux et soudain.
Et pourtant ce petit oiseau pèse moins de 10 g, a une longueur totale de moins de 10 cm et une envergure d’environ 12 cm. Le coffre, il l’a en tout cas et c’est sûrement son organe le plus développé !
Écologie-Habitat
Pendant la période de nidification, le Troglodyte mignon vit dans des endroits humides, ombragés, avec une abondance de sous-bois, de roches affleurantes recouvertes de lichens, de fougères, d’arbres avec du lierre sauvage accroché au tronc, lieux habituellement parcourus de petits cours d’eau gargouillant.
Dans ces milieux il peut donner libre cours à sa passion innée d’inspecter chaque petit trou à la recherche d’insectes ou d’un lieu où bâtir son nid.

Petits affamés avec leur mère. Le mâle troglodyte est polygame. Il ébauche plusieurs nids à la fois, amassant herbes et lichens dans les fissures qu'il a retenues parmi roches et souches, mousses, herbes et lichens. La femelle l’orne à son tour et y pond 5-8 œufs qu'elle couve pendant 2 semaines puis s'occupe des petits © Museo Civico Lentate sul Seveso
Le nid est généralement placé dans des trous sur des rochers ou des troncs d’arbres, dans des buissons bas et très denses adossés à des parois ou d’autres arbres, ou encore entre les racines d’un tronc renversé.

En voici un à peine sorti du nid où il rentre le soir avec ses frères afin d'y passer la nuit © Agostino Codazzi
Il n’est jamais placé en hauteur mais plutôt au niveau du sol quand ce n’est pas directement au sol.
La femelle y pond de 5 à 8 œufs parfois jusqu’à 10, blanc-crème, finement pointillés de rougeâtre et qu’elle couve seule pendant environ deux semaines. Dans les aires méridionales cet oiseau peut nidifier une seconde fois.
Les petits naissent nus et aveugles et après quelques jours ils sont recouverts d’un fin duvet qui devient peu a peu un plumage juvénile, d’ailleurs très semblable à celui des adultes.
Les oisillons restent au nid pendant quelque temps même s’ils sont déjà en mesure de s’envoler et reviennent au nid pendant quelques semaines pour y passer la nuit.
Cette habitude est très pratiquée durant l’hiver quand la température nocturne descend en-dessous de zéro. Le Troglodyte mignon réussit à passer l’hiver dans des lieux très froids et humides, passant la journée le long des rives de petits cours d’eau qui traversent les bois, pénétrant dans les cavités à la recherche des quelques insectes y restant et passant la nuit regroupés de façon invraisemblable dans ces petits nids pour maintenir leur température corporelle suffisamment haute pour supporter les rigueurs des nuits hivernales.
Ce minuscule oiseau est sujet à de brèves migrations verticales puisque durant l’hiver il descend volontiers au fond des vallées ou dans les plaines voisines pour passer la mauvaise saison dans nos jardins, y trouvant nourriture et abri.

A l’instar de divers oiseaux les troglodytes aussi aiment se réchauffer et se désinfecter au soleil, les ailes ouvertes, au sol © Alvaro Dellera
Deux petites anecdotes à son sujet.
En Grande-Bretagne le Troglodyte mignon jouit d’une notoriété égale à celle du Rouge-gorge familier (Erithacus rubecula) et il a été représenté sur une ancienne pièce de monnaie en vigueur il y a quelques décennies, le farthing, un quart de penny.

Avec sa très grande aire de répartition dans les zones tempérées d’Amérique du Nord, du Maghreb et de l’Eurasie jusqu’au Japon, son manque de prédateurs et deux reproductions par an, le Troglodyte mignon n’est pas une espèce en danger. Les populations montagnardes migrent l’hiver vers les vallées et afin de combattre le froid, de nombreux troglodytes s’entassent dans le même abri © Gianfranco Colombo
Synonymes
Motacilla troglodytes Linnaeus, 1758.
→ Pour apprécier la biodiversité au sein des PASSERIFORMES cliquez ici.