Felimare picta

Famille : Chromodorididae


Texte © Dr. Domenico Pacifici

 

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Traduction en français par Michel Olivié

 

Felimare picta

Long jusqu’à 20 cm Felimare picta est le plus grand nudibranche de la Méditerranée © Giuseppe Mazza

Felimare picta Philippi, 1836 est un gastéropode connu aussi sous le nom de Doris géant.

Il appartient à l’ordre des Nudibranchia, un groupe caractérisé par l’absence de coquille externe, des branchies non protégées ou absentes et des couleurs éclatantes qui, jointes à la curieuse morphologie de leurs différentes espèces, leur ont valu l’appellation de “arcs-en-ciel de la mer”.

D’autre part la famille des Chromodorididae dont fait partie le Doris géant est l’une des familles les plus importantes et les plus colorées qui peuplent les mers du monde entier et comprend au moins 35 genres.

Le nom du genre Felimare n’a remplacé que récemment celui de Hypselodoris et est issu du latin “felis” = chat et “mare” = mer, c’est-à-dire “chat de mer”.

On pense que l’origine de ce nom est plus à rechercher dans les dénominations bizarres créées par les malacologues brésiliens Eveline et Ernst Marcus que dans une signification morphologique qu’il serait possible d’identifier.

L’étymologie de l’espèce picta est issue du latin “pictus” = peint, coloré alors que le nom commun fait référence au Sous-ordre Doridina et aux dimensions notables atteintes par cette espèce.

La couleur du Doris géant peut varier considérablement d’un individu à l’autre, d’une aire géographique à l’autre et entre jeunes et adultes.

Divers auteurs ont proposé par conséquent de diviser ce groupe en différentes sous-espèces ce qui rend évidente un fois encore l’énorme difficulté que présente la classification des gastéropodes et des mollusques en général.

Zoogéographie

Felimare picta possède une vaste aire de répartition à travers tout le bassin méditerranéen, l’océan Atlantique tropical et subtropical, y compris l’archipel du Cap-Vert, les Canaries, l’île de Madère et les Açores.

On peut aussi le rencontrer dans le golfe du Mexique ce qui prouve l’extraordinaire expansion de la famille des Chromodorididae.

Felimare picta

Les petites cornes sur la tête sont des appendices sensoriels dits rhinophores. En cas de danger ils peuvent vite être rétractés dans leurs étuis protecteurs © Giuseppe Mazza

On estime de fait que sa capacité à traverser avec succès les différentes barrières atlantiques biogéographiques est à mettre en relation avec l’histoire particulière de son évolution et les spécificités écologiques propres à ce groupe.

Écologie-Habitat

Felimare picta est un animal benthique que l’on peut rencontrer sur des fonds très différents tels que les fonds détritiques ou rocheux, les prairies de posidonie océanique ou même l’intérieur d’épaves et qui peut atteindre une profondeur maximale de 60 m. Comme tous les nudibranches il est carnivore et a un système digestif et enzymatique qui s’est adapté à l’alimentation animale plutôt qu’à l’alimentation végétale.

Felimare picta

On ne peut pas vraiment dire que ce sont des yeux mais ils n’ont pas par hasard la même position sur la tête. En analysant l’eau ils recueillent des informations précieuses pour la vie sociale de l’espèce, trouver la nourriture et fuir les prédateurs. Sur le côté opposé, vers la queue, on note ensuite un panache élégant et voyant lui aussi rétractile © Roberto Boero

Il est particulièrement friand d’éponges du genre Sarcotragus qu’il broute en rampant et en raclant le substrat avec sa langue spécialisée en forme de râpe appelée radula. Il est possible à l’occasion de le rencontrer aussi dans des milieux détritiques à la recherche de l’éponge Dysidea fragilis.

Morphophysiologie

Felimare picta est le doridé le plus grand de la Méditerranée. Sa longueur peut atteindre 20 cm bien qu’il soit beaucoup plus fréquent de le rencontrer avec une longueur de 10 à 15 cm.

Felimare picta

Il sert à détourner l’attention des prédateurs en les dirigeant vers les parties moins vitales du corps mais surtout à respirer grâce à 11 feuillets branchiaux © Corrado Carozzino

La couleur du manteau est bleu foncé, presque noire et tendant vers le violet. Il est parcouru par une série de taches, de points et de lignes fines de couleur jaune, brillante et mate qui décorent son corps sur toute sa longueur.

La couleur de la livrée change avec la croissance : les individus juvéniles ont trois lignes dorsales longitudinales jaunes et nettement marquées. Le bord de leur manteau est blanc, de largeur irrégulière et ondulé.

À un âge plus avancé les lignes se fragmentent, deviennent plus nombreuses et forment des cercles irréguliers qui peuvent s’estomper lentement ou même disparaître chez les individus les plus âgés qui sont habituellement décolorés et ont une teinte claire bleu azur.

Felimare picta

C’est un élément notable dans la taxinomie des nudibranches. En trônant au milieu de couleurs voyantes il signale aussi aux malintentionnés la possible présence de venins © Josep Lluis Peralta

La tête est caractérisée par deux cornes bleuâtres bien visibles appelées rhinophores qui sont des organes tactiles et chimiorécepteurs conçus pour percevoir les mouvements de l’eau et les particules en suspension et qui peuvent être repliés dans une poche dermique spéciale quand l’animal est en danger.

Le dos du Doris géant, lisse et dépourvu de coquille, constitue une caractéristique propre aux nudibranches tout comme est propre à certaines espèces l’imposant panache branchial qui surplombe leur partie caudale. Composé de onze feuillets branchiaux caractérisés chacun par une fine ligne jaune interne et une ligne hachurée plus grande sur le côté externe le panache branchial assume une fonction respiratoire et comme les rhinophores il peut se rétracter dans une gaine dermique afin de se protéger d’attaques éventuelles.

Felimare picta

Il brouille d’autre part les idées. Où sont la tête et la queue ? De son côté Felimare picta est aussi un prédateur vorace mais d’animaux qui ne fuient pas : les éponges © Roberto Boero

Éthologie-Biologie reproductive

Les nudibranches sont tous des hermaphrodites simultanés incomplets (ou insuffisants), c’est-à-dire qu’ils possèdent des organes reproductifs mâles et femelles qui sont tous deux fonctionnels en même temps.

Bien que l’autofécondation soit théoriquement possible elle n’ a jamais été prouvée. L’accouplement est donc nécessaire pour permettre l’échange de gamètes. Ce procédé présente évidemment des avantages : une rencontre fortuite avec un autre individu de la même espèce offre 100 % de possibilités d’échanges de gènes. Une stratégie qui est d’une très grande efficacité dans le monde marin étant donné l’énorme possibilité de dispersion des oeufs et des organismes qui le peuplent.

Felimare picta

La grande variété de couleurs du Doris géant a incité de nombreux auteurs à créer différentes sous-espèces, parfois élevées ensuite au rang d’espèces © Brian Cole

Les Doridés n’ont pas d’yeux vraiment spécialisés et se laissent surtout guider par leur grande sensibilité aux substances chimiques pour reconnaître leur partenaire.

On n’a jamais observé de rituel d’accouplement à proprement parler mais seulement une sorte de comportement que l’on remarque fréquemment chez différentes espèces : un individu poursuit un autre en suivant sa traînée de mucus jusqu’à ce que le chef de file inverse sa marche en se tournant sur la droite et expose la partie de son corps qui contient ses organes sexuels.

Les nudibranches, en effet, ont chacun des ouvertures génitales sur le côté antérieur droit de leur corps et on les trouve donc souvent attachés entre eux dans une position caractéristique en spirale permettant  la fécondation croisée.

Felimare picta

C’est surprenant sa présence aux Caraïbes. La famille des Chromodorididae à qui il appartient compte 35 genres et d’innombrables espèces dispersées dans le monde entier © Kevin Bryant

Quand l’accouplement est terminé les deux mollusques se séparent rapidement pour pondre leurs oeufs dans des rubans gélatineux caractéristiques en forme de spirale, longs d’environ une dizaine de centimètres, de couleur blanchâtre et aux bords crénelés rappelant la forme d’une rose.

En se basant sur l’aspect de la ponte il est possible de remonter, mais ce n’est pas vraiment aisé,  à l’espèce d’appartenance car la forme et la couleur du ruban sont particulières à chaque espèce.

Les oeufs donnent naissance à des larves appelées véligères qui sont de bonnes nageuses et se nourrissent de façon autonome pendant une durée de temps qui est encore mal connue jusqu’à la forme adulte. La transformation en adulte semble être liée et activée par la présence de la nourriture préférée et exclusive de cette espèce qui lui permet d’accumuler les énergies importantes nécessaires à l’accouplement et au cycle vital.

Felimare picta

Rencontre reproductive. Les nudibranches sont des animaux hermaphrodites simultanés qui ont besoin d’une transmission réciproque de gamètes. Tout commence avec la poursuite du partenaire jusqu’à ce que celui-ci, consentant, s’arrête et inverse sa marche pour se placer sur le flanc à côté du poursuivant et commencer l’accouplement © Francisco Sedano

En effet, et ce n’est pas par hasard, la ponte s’effectue à proximité de la nourriture préférée des doridés afin précisément de faciliter sa recherche par les futurs nouveau-nés.

Bien que le Doris géant soit très apprécié des malacologues et des passionnés de ce secteur son statut de conservation reste encore aujourd’hui inconnu et n’est pas mentionné dans la liste rouge de l’UICN qui évalue la vulnérabilité et les risques d’extinction des espèces.

Synonymes

Chromodoris cantrainii Bergh, 1879; Chromodoris elegans Cantraine, 1835; Chromodoris valenciennesi Cantraine, 1841; Doris calcarae Vérany, 1846; Felimare picta azorica Ortea, Valdés & García-Gómez, 1996; Felimare picta picta Philippi, 1836; Glossodoris edenticulata White, 1952; Glossodoris picta Philippi, 1836; Glossodoris valenciennesi Cantraine, 1841; Glossodoris webbi d’Orbigny, 1839; Goniodoris elegans Cantraine, 1835; Hypselodoris edenticulata White, 1952; Hypselodoris elegans Cantraine, 1835; Hypselodoris picta Philippi, 1836.

 

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