Rhynchocephalia

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Texte © Prof. Giorgio Venturini

 


Traduction en français par Jean-Marc Linder

 

Sphenodon punctatus, Rhynchocephalia

L’ordre des Rhynchocéphales (Rhynchocephalia) contient aujourd’hui une seule espèce, endémique de Nouvelle-Zélande : Sphenodon punctatus, ou Tuatara © Paddy Ryan

D’après la classification traditionnellement acceptée, les reptiles vivants actuels sont répartis en quatre ordres différents : Crocodilia (les Crocodiliens : crocodiles, alligators et caïmans), Rhynchocephalia, Squamata (les Squamates : sauriens, serpents et amphisbènes) et Testudines = Chelonia (les Tortues : terrestres, aquatiques et marines). Selon la classification cladistique, qui prend en compte les affinités phylogénétiques, il faut ajouter à ces groupes celui des Aves : issus des dinosaures théropodes, les oiseaux devraient compter parmi les reptiles.

L’ordre des Rhynchocéphales (Rhynchocephalia) compte actuellement une seule espèce, endémique de la Nouvelle Zélande, le Sphénodon ponctué, Tuatara en langue maorie (Sphenodon punctatus), avec deux sous-espèces (Sphenodon punctatus punctatus et Sphenodon punctatus guntheri).

Le Sphénodon ponctué a l’apparence générale d’un grand lézard d’une longueur maximale de 70 à 80 cm, et est réputé pour le développement remarquable de son “troisième œil”, ou œil pariétal.

De nos jours, le Sphénodon est présent dans de nombreuses îles au large de la côte nord-est de l’île du Nord et dans certaines îles du détroit de Cook, qui sépare l’île du Nord de l’île du Sud. Suivant les estimations, la population totale de Tuatara serait actuellement de 60.000 à 100.000 individus. Au cours des 150 dernières années, les sphénodons ont disparu de nombreuses îles de Nouvelle-Zélande en raison de la destruction de leur habitat et de l’introduction par l’homme d’espèces “exotiques” comme les porcs, les chiens et les chats.

L’origine des Rhynchocéphales remonte à une période géologique proche de celle qui a vu la séparation entre les Lépidosauriens (sphénodontes, lézards, serpents et amphisbènes) et les Archosauriens (le groupe qui comprend les crocodiles et les dinosaures, incluant donc aussi les oiseaux). Les premiers fossiles de Rhynchocéphales, légèrement antérieurs à ceux des dinosaures, remontent au Trias moyen, vers 240-250 millions d’années, et sont donc les plus anciens parmi les Lépidosauriens.

Sphenodon punctatus, Rhynchocephalia

L’allure générale est celle d’un gros lézard atteignant jusqu’à 70 à 80 cm de longueur © Giuseppe Mazza

Celui des Rhynchocéphales est considéré comme le groupe sœur des squamates (comprenant les lézards, les serpents et les amphisbènes), tous deux réunis dans le clade monophylétique des Lépidosauriens (en systématique cladistique, deux taxons ou plus, c’est-à-dire des unités taxonomiques, dérivant d’un ancêtre commun, sont appelés groupes sœurs ou, selon la terminologie anglaise communément usitée, sister groups. Comme unités taxonomiques, on peut entendre par exemple des espèces animales ou végétales, des familles, des genres, etc).

Les Lépidosauriens se caractérisent par une série de caractéristiques morphologiques communes, parmi lesquelles on relève la présence de dérivés cutanés aux fonctions protectrices comme les écailles, la perte périodique et le remplacement de l’épiderme (mue ou ecdyse), l’ouverture de la fissure cloacale en position transversale et la présence de plans de fracture prédéterminés dans les vertèbres de la queue.

Ces plans de fracture permettent le phénomène d’autotomie caudale, c’est-à-dire la capacité de perdre une partie de la queue ou de s’auto-mutiler pour distraire un prédateur en lui abandonnant une partie non vitale de son corps. La queue peut ensuite repousser plus ou moins complètement.

Très fréquente chez les lézards, l’autotomie caudale est plus rare chez d’autres Lépidosauriens comme les serpents, mais est néanmoins communément considérée comme un caractère primitif présent chez tous les Lépidosauriens.

De nombreux Lépidosauriens ont perdu cette capacité ; cependant, chez certains représentants du groupe, comme certains lézards et serpents, elle a évolué à nouveau et indépendamment et se manifeste suivant des modalités différentes.

Au lieu d’un seul pénis comme chez les crocodiles, les oiseaux, les mammifères et les tortues, un autre caractère partagé est la présence chez le mâle d’une paire d’hémipénis, organes érectiles utilisés lors de l’accouplement (notons que, si les hémipénis ne sont pas visibles chez le Sphénodon adulte, il en existe une ébauche dans l’embryon, réabsorbée ensuite pendant le développement). Chez les tuataras, l’absence d’hémipénis fait que l’insémination se produit par apposition des cloaques des deux partenaires.

Les Lépidosauriens, c’est-à-dire l’ensemble des Squamates et des Rhynchocéphales, représentent une partie importante de la faune terrestre actuelle. Cependant, alors que les Squamates regroupent aujourd’hui plus de 7 000 espèces, comme dit plus haut, la seule espèce de Rhynchocéphale actuellement vivante est le Sphénodon ponctué de Nouvelle-Zélande.

Au contraire, les archives fossiles attestent que les Sphénodontidés, le groupe de Rhynchocéphales le plus représenté, ont été parmi les Lépidosauriens les formes dominantes durant toute la période triasique et jurassique.

Au Crétacé, les Rhynchocéphales ont presque disparu de Laurasie (le bloc continental qui donnera naissance à l’Eurasie et à l’Amérique du Nord), remplacés par les Squamates alors en pleine expansion.

En revanche, en Amérique du Sud et notamment en Patagonie, les Sphénodontidés sont restés longtemps abondants, constituant la faune reptilienne dominante jusqu’à la fin du Crétacé.

Sphenodon punctatus, Rhynchocephalia

Sur la tête des jeunes, le “troisième oeil” (l’oeil pariétal) est remarquablement bien développé et visible © Southland Museum & Art Gallery, Invercargill

Une des caractéristiques morphologiques propres aux Rhynchocéphales, présente à la fois chez le Sphénodon et chez les formes fossiles, concerne les dents, soudées aux os de la mâchoire sans présence d’alvéoles (denture acrodonte). Les dents ont également une disposition unique parmi tous les vertébrés : il y a deux rangées de dents dans l’arcade dentaire supérieure mais une seule dans l’inférieure ; lorsque la bouche se ferme, la rangée inférieure s’encastre parfaitement entre les deux rangées supérieures, facilitant ainsi le déchiquetage de la nourriture.

Chez les Rhynchocéphales les plus primitifs, la forme des dents convenait à un régime insectivore, avec donc des dents fines et pointues ; par la suite, chez les différents progéniteurs du Sphénodon moderne, se sont développées des dentitions adaptées aux régimes herbivore, carnivore et omnivore.

La forme caractéristique du crâne “en bec”, d’où vient le nom de Rhynchocéphale (du grec “ρυγχος” [rynkos] bec et “κεφαλε” [kefale], tête, donc avec la tête en bec), est due au développement particulier de l’os prémaxillaire qui forme la partie antérieure de la mâchoire supérieure : il fait saillie vers l’avant comme un bec incurvé et porte des dents en forme de burin rappelant les incisives des mammifères. Cette structure est très visible chez le Tuatara et chez certains Rhynchocéphales fossiles, moins visible chez d’autres.

Outre une série de détails dans la structure du crâne et de la dentition, les Rhynchocéphales et surtout les Sphénodontes diffèrent des Squamates par certaines caractéristiques des côtes et la présence des “gastralia”. Les côtes sont en effet équipées de grands processus crochus, c’est-à-dire de saillies qui, orientées vers l’arrière, relient chaque côte à celle adjacente. Comme chez les crocodiles et chez de nombreux dinosaures, les côtes ventrales – les “gastralia”, os en forme de côtes non articulés avec la colonne vertébrale – sont également présentes et bien développées ; elles composent une sorte de cage abdominale qui protège et soutient les viscères.

Les vertèbres des Sphénodontes ont des faces concaves antérieure et postérieure (on les définit comme amphicéliques, c’est-à-dire à double cavité), comme celles des poissons, alors que celles des autres reptiles ne présentent qu’une seule concavité.

En contraste avec le manque actuel de diversité, l’ordre des Rhynchocéphales comprenait dans le passé diverses familles et de nombreux genres, qui peuplaient sur la planète entière de nombreux environnements différents, y compris l’aquatique.

Après le Jurassique, la présence des Rhynchocéphales s’est réduite jusqu’à la quasi-disparition.

Sphenodon punctatus, Rhynchocephalia

Bien que le Sphénodon soit considéré comme un “fossile vivant”, des découvertes et des études moléculaires ont établi que, comme de nombreux vertébrés, les Rhynchocéphales n’ont pas été morphologiquement figés mais ont connu une succession d’événements évolutifs. En Patagonie, ils sont restés abondants pendant longtemps, constituant la faune reptilienne dominante jusqu’à la fin du Crétacé. On connaît aujourd’hui plus de 40 espèces fossiles différentes de Rhynchocéphales © Giuseppe Mazza

Jusqu’à récemment, les paléontologues considéraient que les Rhynchocéphales étaient un groupe morphologiquement conservateur, qui avait subi peu de changements importants au fil du temps. En plus de montrer que la vitesse d’évolution moléculaire des tuataras est supérieure à celle de nombreux autres vertébrés, les études les plus récentes établissent que cet ordre de reptiles a conquis indépendamment le milieu aquatique au moins à deux reprises, et qu’il montre une grande diversité dans les proportions du corps, dans la structure de la denture et dans la morphologie du squelette.

La plupart des niches écologiques aujourd’hui occupées par les lézards étaient autrefois dévolues aux Rhynchocéphales.

On connaît aujourd’hui plus de 40 espèces fossiles différentes de Rhynchocéphales ; leur forme corporelle varie de celle d’un lézard à celle d’herbivores marchant sur des ongles en forme de sabot, comme Priosphenodon, des coureurs rapides à pattes longues et minces comme Homeosaurus aux formes blindées couvertes d’ostéodermes complexes comme Pamizinsaurus, jusqu’aux formes aquatiques des Pleurosauridae, caractérisées par l’allongement marqué du tronc et de la queue donnant un corps élancé et souple capable de mouvements probablement similaires à ceux d’une anguille.

La grande variété de structures corporelles qui apparaissent dans les fossiles des Rhynchocéphales remet en cause la conviction autrefois répandue que le déclin de cet ordre de reptiles était causé par un manque d’adaptabilité qui les aurait rendus non compétitifs face aux Squamates et aux Mammifères.