Bolinus brandaris

Famille : Muricidae


Texte © Dr. Domenico Pacifici

 

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Traduction en français par Michel Olivié

 

Alors qu’il se promenait le long des plages du Liban en compagnie de son chien le dieu Melqart remarqua que son fidèle compagnon avait le museau souillé de sang. Inquiet il s’arrêta pour examiner sa bouche et découvrit que le sang qui la recouvrait n’était pas le sien mais celui d’un mollusque épineux qu’il tenait entre ses mâchoires. Le matin suivant Melqart vit que le sang du mollusque mélangé à la salive du chien s’était desséché et avait pris une couleur rouge si vive et si fascinante qu’il décida de confectionner un vêtement de la même couleur pour sa bien-aimée la nymphe Tyr. La nymphe, après avoir reçu ce cadeau, décida d’épouser le dieu Melqart et ce fut ainsi que naquit ce que l’on appela la “pourpre de Tyr” qui fit la fortune du peuple phénicien et le fit entrer dans l’histoire sous le nom de “peuple de la pourpre”.

En laissant de côté les hauts faits du dieu et du peuple phénicien il convient de se concentrer sur l’animal qui est mort entre les mâchoires du chien et dont le sacrifice a causé l’origine et la fin heureuse de cette histoire.

Bolinus brandaris est un mollusque gastéropode appartenant à la famille des Muricidae. Lui et d’autres spécimens de la même famille tels que Hexaplex trunculus et Stramonita haemastoma représentent le trio de mollusques d’où étaient extraits les composants nécessaires à la fabrication de la pourpre.

Connu sous le nom vulgaire de murex épineux il a porté à l’origine le nom de Murex brandaris car le terme latin “murex” peut soit signifier “rocher pointu’ soit se référer au sel d’ammonium de l’acide purpurique avec lequel on fabriquait la pourpre.

Bolinus brandaris est très commun en Méditerranée. De récentes études semblent avoir prouvé sa présence aussi le long des côtes atlantiques françaises.

Bolinus brandaris est très commun en Méditerranée. De récentes études semblent avoir prouvé sa présence aussi le long des côtes atlantiques françaises © Giuseppe Mazza

Par la suite son nom scientifique fut changé en Bolinus brandaris par G. Pusch en 1837 où le nom du genre Bolinus se réfère, pense-t-on, au terme latin “bolus” qui veut dire massue, motte, disque ou au grec “Bolina”, la nymphe aimée du dieu Apollon, ou encore au grec “bolis”, bolide, sonde, météore très brillant.

Le nom de l’espèce brandaris est lui aussi d’origine incertaine et mal connue. On pense qu’il pourrait se référer au terme “brandire” dérivé du terme germanique “brand”, massue ou épée,  et ferait peut-être allusion aux épines qui caractérisent ce muricidé ou à son canal siphonal qui est si long qu’il pourrait passer pour une “épée à brandir”.

Zoogéographie

Bolinus brandaris est une espèce très commune en Méditerranée et présente pratiquement sur toutes ses côtes, du détroit de Gibraltar aux rivages du Liban et de la Turquie. De récentes études semblent prouver qu’il a traversé le détroit de Gibraltar et gagné l’océan Atlantique pour rejoindre les côtes du Nord de la France. Ces données cependant sont encore en cours d’analyse. On peut raisonnablement penser qu’il est arrivé dans ces zones en tant qu’espèce étrangère à la suite du transport involontaire de larves et/ou de jeunes individus.

Détail du grand pied de Bolinus brandaris et de l'opercule. Pour capter des informations sur le milieu il étire deux tentacules, appelés rhinophores, à la fonction sensitive et tactile.

Détail du grand pied et de l’opercule. Pour capter des informations sur le milieu il étire deux tentacules, appelés rhinophores, à la fonction sensitive et tactile © G. Mazza

Écologie-Habitat

Ce muricidé préfère les fonds sablonneux ou boueux dans lesquels il s’enfouit presque entièrement à une profondeur qui oscille entre 5 et 50 m bien qu’on ait rencontré des individus à près de 200 m, ce qui prouve une grande variabilité bathymétrique. On peut d’autre part rarement le rencontrer sur des fonds rocheux peu profonds.

Bolinus brandaris est un prédateur vorace d’autres mollusques qui peut même se nourrir de cœlentérés et d’échinodermes. Il est particulièrement friand de moules dont il se nourrit en forçant l’ouverture de leurs valves avec son pied puissant ou en perçant leur coquille avec sa radula, une sorte de langue épineuse caractéristique de ce phylum et dont la forme et la fonction diffèrent suivant les espèces. Il complète son régime très généraliste en nettoyant les fonds à la façon d’un éboueur en consommant les carcasses des autres animaux qu’il trouve aux alentours.

Morphophysiologie

Bolinus brandaris présente un polymorphisme prononcé. Le nombre de morphotypes s’avère incroyablement élevé si bien que Linné lui-même décrivit dans ses études trois formes différentes.

La coquille arrondie de Bolinus brandaris et disposée en spirale atteint 8 à 10 cm de long.

La coquille arrondie et disposée en spirale atteint 8 à 10 cm de long © Giuseppe Mazza

Pour compliquer les choses il existe aussi une vaste catégorie d’individus définis comme anormaux, ce qui ouvre la porte à une autre branche d’études appelée “Tératologie” dans laquelle on analyse les anomalies morphologiques d’un organisme complet ou bien d’une ou plusieurs de ses parties. Cela conduit à avoir des individus aux modifications structurelles très prononcées qui possèdent par exemple trois canaux siphonaux, une lèvre externe complètement déformée ou un enroulement en spirale nettement difforme. Ces anomalies peuvent s’appliquer tant à toutes les parties molles de cet animal qu’à sa coquille. Elles peuvent avoir des origines génétiques ou des causes accidentelles telles que la prédation ou des infections parasitaires. Dans un tel contexte on procédera pour simplifier à l’examen du type le plus souvent décrit et le plus connu aussi au niveau historique et qui provient des rivages de l’Italie.

La coquille de Bolinus brandaris est arrondie et disposée en spirale. Elle a une couleur qui va du jaune au marron et peut atteindre 8 à 10 cm de long. La spirale est composée de 6 spires qui comportent chacune 4 à 8 épines habituellement plus marquées chez les individus jeunes, disposées sur une seule ligne et dont la taille augmente au fur et à mesure que l’on s’approche de l’opercule.

La coquille n’est pas uniforme car il existe pendant la période de croissance de cet animal une alternance de phases d’accroissement et de repos où se formeront les épines qui épaississent le bord de la coquille. La partie sphérique de la coquille se prolonge pour former un canal siphonal long et très marqué, une caractéristique qui le rend très visible et qui, comme indiqué plus haut, a fourni le nom à cette espèce.

L’opercule, particulièrement grand et à la lèvre externe épaisse et robuste, peut accueillir un pied tout aussi important et est capable de fermer parfaitement l’ouverture quand le mollusque se rétracte pour se défendre des prédateurs.

La coquille est souvent recouverte d’épibiontes, de petits organismes, tels que des algues vertes et calcaires, qui vivent à la surface de l’organisme faisant fonction d’hôte et peuvent masquer la couleur brunâtre et augmenter l’efficacité du mimétisme du coquillage dans son milieu.

Ce mollusque est de couleur marron et a un pied de la même couleur mais caractérisé par un motif moucheté. Pour capter les informations du milieu il étire des tentacules de couleur blanche qui ont une fonction sensitive ou tactile et qui sont appelés rhinophores. La célèbre pourpre provient d’une glande spéciale hypobranchiale qui se situe dans la cavité palléale.

Elle produit un liquide incolore qui, après une macération et une ébullition appropriées au contact de la lumière, passe par différentes étapes de coloration avant de parvenir au violet pourpre.

Éthologie-Biologie reproductive

Cette espèce connaît deux saisons de reproduction : en mars-avril et pendant les mois de juin et de juillet.

Bolinus brandaris n'est aujourd'hui pêché que dans un but alimentaire mais jadis il fournissait aussi un précieux colorant pour les tissus, la pourpre, un rouge aux teintes violettes particulières.

Il n’est aujourd’hui pêché que pour l’alimentation mais jadis il fournissait aussi un précieux colorant pour les tissus, la pourpre, un rouge aux teintes violettes particulières © Hans Hillewaert

Les sexes sont bien distincts mais il n’y a pas de dimorphisme sexuel. Les individus mâles et femelles ont donc les mêmes dimensions. Les femelles présentent de plus une caractéristique particulière, à savoir un pénis rudimentaire et non fonctionnel.

Des études ont démontré qu’il existait une asynchronie importante entre les sexes en ce qui concerne la maturation des gamètes, en particulier l’existence de mâles adultes à un moment où les femelles ne l’étaient pas. On pense que ce phénomène augmente les chances de reproduction car il permet aux femelles de ne produire des œufs que lorsque les conditions environnementales sont favorables à la production et à la survie des œufs.

Les œufs sont pondus de manière à former une sorte de balle spongieuse grande d’environ 80 cm. Ce procédé et cette forme sont similaires, sinon identiques, à celle de l’espèce voisine Hexaplex trunculus, ce qui rend une identification difficile en l’absence d’adultes à proximité des œufs  qui ont été pondus.

À l’issue de leur développement il se forme une larve typique des gastéropodes, appelée véligère, qui est capable de nager grâce à un organe puissant, le velum, qui est constitué de petits cils  indispensables à l’alimentation et à la locomotion de l’animal.

On la trouve par exemple dans le mobilier somptueux du "Salon violet" du musée du château de Chantilly.

On la trouve par exemple dans le mobilier somptueux du “Salon violet” du musée du château de Chantilly © Musée Condé Chantilly

Bolinus brandaris a été et est encore un des mollusques les plus connus et les plus importants dans l’histoire, y compris culturelle, de la civilisation. C’est une espèce comestible qui a été pêchée pendant des siècles pour la subsistance alimentaire en plus que pour la pourpre qui nécessitait déjà une énorme quantité d’individus.

Aujourd’hui la pêche est régulée par des règles rigoureuses qui interdisent la capture de ce mollusque pendant sa période de reproduction. Cette espèce de ce fait n’est pas menacée d’extinction. La mondialisation et la suppression des frontières entre les États pour les échanges commerciaux ont ouvert la porte à un autre problème tout aussi important : l’introduction d’espèces étrangères. Les études et la prévention sont davantage orientées dans ce sens car Bolinus brandaris est, comme cela a été dit, un prédateur vorace qui risquerait de mettre sérieusement en danger les espèces endémiques du milieu où il a été introduit.

Synonymes

Murex brandaris Linnaeus, 1758; Purpura fuliginosa Röding, 1798; Murex tuberculatus Roding, 1798; Murex pseudobrandaris Grateloup, 1833; Murex subbrandaris d’Orbigny, 1851; Murex trifariaspinosus Frauenfeld, 1869; Murex trispinosus Locard, 1886; Murex monospinosus Serradell, 1912; Murex tudiculoides Coen, 1943; Murex pseudobrandaris zanardii Settepassi, 1970.

 

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